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A. BINET.la responsabilité morale

Le temps écoulé diminue la responsabilité du coupable pour un autre motif que l’apaisement du besoin de vengeance. Il transforme le coupable, il modifie, il altère sa personnalité morale, comme il modifie la forme extérieure de son corps.

Le coupable lui-même sent sa responsabilité décroître toutes les fois qu’il peut dire : « J’ai bien changé depuis ma faute ; je ne suis pas le même homme que j’étais alors ; j’étais jeune, j’étais un enfant. » Alors le coupable et l’homme actuel sont deux hommes ; on peut éprouver de l’antipathie pour l’un et n’en pas éprouver pour l’autre, qui est distinct du premier ; et l’on comprend que plus la scission entre les deux individus sera complète, plus la responsabilité du second sera amoindrie.

Même effet est produit par le remords. Un remords sincère et profond prouve que le caractère du coupable a changé. S’il reste l’auteur physique et matériel du délit, il n’en est plus en quelque sorte l’auteur moral, puisque replacé, par hypothèse, dans les mêmes conditions, il agirait autrement. Ici encore, il s’opère une scission entre le moi ancien, coupable, et le moi nouveau, régénéré. Mais la scission n’est jamais complète.

Il serait à désirer qu’on introduisît dans notre loi pénale une disposition de la législation allemande, d’après laquelle la peine du coupable est diminuée, lorsqu’il s’est efforcé spontanément de réparer l’effet de son crime.

II

Nous allons maintenant comprendre pourquoi on a fait de la liberté le fondement de la responsabilité. Il ne s’agit point ici de la liberté métaphysique. Quand on dit : « Pour être responsable, il faut être libre », le mot libre est pris dans son sens vulgaire de liberté physique d’action et d’exécution. Est libre celui dont les membres ne subissent pas une contrainte physique et tout extérieure. Est libre celui dont l’acte, mûrement pesé et réfléchi, est en accord parfait avec la personnalité morale dont il émane ; l’acte libre est celui qui contient comme en miniature le caractère de l’agent. Tel est l’acte qui entraîne la responsabilité de l’agent : c’est celui qu’on peut attribuer à sa personnalité morale. Pourquoi ? Pour une raison toute de sentiment : parce que l’acte libre se confondant avec son auteur, les sentiments de sympathie ou d’antipathie inspirés par l’acte pourront être reportés sur l’agent. Au contraire, quand l’agent a été violenté, menacé, quand il a agi sous l’influence d’une menace de mort ou d’une contrainte physique, il existe entre son action et