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« L’enfant ne poussa pas un cri.

« J’allai chercher le second, puis le troisième et les étranglai l’un après l’autre de la même manière que le premier. Ils tombèrent sans pousser de cri. C’est seulement après la mort de ces trois enfants que je les ai frappés à coups de pioche afin de les défigurer.

« Je ne me rappelle pas avoir frappé de même la mère et les quatre petits enfants.

« Je ne fouillai pas leurs poches et creusai aussitôt avec une seconde pelle et une seconde pioche que j’avais achetées et cachées d’avance dans le champ une fosse où je plaçai les six cadavres. Il pouvait être deux heures du matin quand j’eus fini. »

Il n’est personne, je crois, qui, en s’abandonnant à ses impressions naturelles, ne considère comme légitime la peine capitale appliquée à un aussi grand criminel. On comprend même le sentiment des braves gens qui réclament la torture. Que de fois n’a-t-on pas répété à l’époque que si la peine de mort n’existait pas, il aurait fallu l’inventer pour Tropmann !

Mais écartons ces images, oublions ces histoires de crime, et donnons à l’orage d’émotions qui vient d’éclater en nous le temps de se calmer. Le coupable, un coupable quelconque, a été condamné, et nous avons devant les yeux l’histoire de son supplice : j’emprunte le récit suivant à un de nos meilleurs chroniqueurs contemporains :

« Cinq heures cinq… c’est l’heure…

« On entend des chuchotements derrière la porte de la prison, des « chut » qui commandent le silence, et de très loin, une venue de g ns qui vont vite.

« Presque en même temps, les deux battants de la porte s’écartent, les gendarmes mettent sabre au clair.

« La première personne qui sort est un officier de paix en uniforme, puis un gardien de la prison, puis lui.

« Je ne vois, je n’ai vu jusqu’au bout que sa tête. Elle est très haute au-dessus de toutes les autres, en cire. À la sortie, il l’a levée pour voir où c’était. Il va vite, sans qu’on l’aide ; maintenant il est passé, je l’aperçois de dos ; au haut de la tête, une calvitie naissante. Il arrive au pied de la guillotine. Il se trouve à gauche. Je le revois de profil. Il dit quelque chose à quelqu’un, invisible de ma place, un prêtre sans doute. Il se tourne d’un seul mouvement d’épaule, le voilà devant la guillotine. Il a l’air de s’avancer, de mettre lui-même sa tête dans la lunette. Comme c’est long ! Voilà quinze secondes qu’il est en place, et le couteau n’a pas bougé[1] ! »

  1. Hugues le Roux, l’Enfer parisien, p. 377.