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A. BINET.la responsabilité morale

sont le point de départ. Le partisan convaincu de la peine de mort est celui chez qui la pitié est étouffée par la répulsion ; l’adversaire convaincu de la peine de mort est celui chez lequel c’est la pitié qui domine tout. Ce sont là des divergences de vue qui tiennent à des différences profondes de la sensibilité, et il est tout à fait ridicule de penser qu’on arrivera à quelque résultat en raisonnant.

J’ai remarqué seulement que lorqu’une personne n’a pas son siège fait sur la question de la peine de mort, il existe un artifice pour lui donner telle ou telle opinion : c’est de lui faire le récit détaillé du crime, ou le récit détaillé de l’exécution du condamné. Ces deux récits produisent un effet inverse. Le lecteur peut en faire l’expérience sur lui-même ; qu’il lise le passage suivant, emprunté encore à l’affaire Tropmann ; que pendant cette lecture il s’abandonne à ses impressions, qu’il les accueille dans leur banalité et leur confusion, sans se préoccuper de porter un jugement moral.

C’est Tropmann qui raconte comment après avoir tué Kinck père, et son fils Gustave, il écrit à Mme Kinck de venir à Paris avec ses autres enfants pour rejoindre son mari : en réalité, il la faisait venir pour la tuer.

« La dame Kinck arriva en effet à Paris avec ses enfants le 19 septembre, dans la soirée, vers dix heures. J’allai la rejoindre à la gare et je lui dis que j’allais la conduire à son mari.

« Nous prîmes une voiture jusqu’aux Quatre-Chemins. Je l’engageai à descendre et à laisser les enfants dans la voiture, en lui disant que peut-être son mari voudrait revenir à Paris et que nous reprendrions les enfants ; mais les deux plus petits voulurent suivre leur mère, et nous nous engageâmes ensemble dans le sentier qui traverse les champs.

« La dame Kinck marchait devant, portant sa petite fille et ayant auprès d’elle le petit garçon.

« Arrivés à une certaine distance, je la frappai par derrière avec un couteau de table dont je m’étais armé ; elle ne poussa pas de cri.

« Je ne me rappelle pas si elle tomba sur le coup. Je me souviens seulement que je la frappai plusieurs fois, sans que je puisse autrement préciser. Je frappai aussi les enfants, d’abord la petite fille, puis le petit garçon, qui ne poussèrent pas un seul cri.

« J’allai de suite chercher les trois autres enfants Kinck. Avant d’arriver au point où gisaient les cadavres, je fis arrêter les enfants et les amenai l’un après l’autre.

« Je fis mettre au premier un foulard autour du cou sous un prétexte quelconque, et c’est avec ce foulard que je l’étranglai quand nous nous arrêtâmes auprès du corps de la mère.