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vie de Tropmann, l’avocat ajoute : « Voilà cet être solitaire dont un coin du cœur était resté pur, son amour pour sa mère ; pour lui, c’est une idole. Quel qu’il soit, il y a dans le cœur de cette créature de Dieu un sentiment humain ; il aime sa mère, à laquelle il voudrait donner du pain. Quand, avant de fuir, il prenait 100 francs et les déposait sur les genoux de sa mère, il lui disait : Tiens, voilà de quoi vivre ! » Me Lachaud prononce ces paroles en se tournant vers l’accusé. L’auditoire entier, suspendu à ses lèvres, se lève comme poussé par un mouvement magnétique. (Quelle mise en scène !) Tropmann, qui n’a pas bronché encore, Tropmann, au nom de sa mère, se trouble, et de grosses larmes coulent de ses yeux. Il met sa tête entre ses mains, se baisse, se baisse jusqu’à disparaître derrière la balustrade. Me Lachaud reprend alors : « Ah ! si vous voulez des larmes dans cette horrible odyssée, regardez-le, il pleure ! Il a encore quelque chose d’humain ! »

Nous le répétons, une semblable méthode d’argumentation est incompatible avec l’idée philosophique du libre arbitre. À rigoureusement parler, un assassin est d’autant plus coupable qu’il avait reçu de la nature de meilleurs instincts. Mais l’idée philosophique du libre arbitre n’a rien de commun avec le sentiment vulgaire de la responsabilité. Il s’agit avant tout pour le défenseur d’inspirer la compassion et la pitié.

Il est heureux que la loi ait amorti l’effet de ces fluctuations de sentiments en fixant un tarif de la pénalité, qui représente en quelque sorte les sentiments d’un spectateur bien informé et désintéressé, ne penchant pas plus vers un excès de répulsion que vers un excès de pitié. C’est bien là la formule d’Adam Smith.

Malheureusement les jurés arrivent à tourner la loi : bien qu’ils n’aient à se prononcer que sur la matérialité du fait, ils influent sur l’application de la peine en déclarant non coupable un accusé dont le délit est matériellement prouvé, toutes les fois que l’accusé a soulevé un vif sentiment de sympathie.

Je crois aussi que c’est le jeu de ces deux sentiments contraires de répulsion et de pitié qui explique les opinions si différentes qu’on professe sur la peine de mort. En général, celui qui est partisan de la peine de mort étaye son opinion sur des raisonnements ; et l’adversaire de la peine de mort s’efforce, lui aussi, de raisonner ; mais nous croyons que ces raisonnements ne sont que des motifs surajoutés, mis en avant pour expliquer une façon particulière de sentir. Ainsi qu’on peut le poser en règle générale, les convictions ardentes, absolues, n’ont point une origine intellectuelle ; elles ne sont pas fondées sur des raisonnements ; ce sont des émotions, des passions qui en