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A. BINET.la responsabilité morale

éprouvons pour le coupable. Telle est la thèse que nous allons essayer de démontrer.

Il est clair qu’en réduisant ces faits extrêmement complexes au simple conflit de deux sentiments, nous simplifions de parti pris la question : inutile de dire que la répulsion inspirée par certains délits varie suivant les personnes ; les propriétaires sont des jurés inflexibles contre les délits de vol ; les jurés mariés sont aussi généralement fort sévères pour l’adultère de la femme. — Beaucoup de gens poursuivent de leur haine un assassin, par peur d’être assassinés. — De même la pitié inspirée par le criminel qu’on va exécuter provient parfois de ce qu’on pense à une erreur judiciaire qui pourrait nous faire monter nous-même sur l’échafaud, etc.

Commençons par quelques exemples concrets. C’est surtout en cour d’assises qu’il faut étudier le sentiment de la responsabilité, en observant les moyens employés par l’accusation et par la défense pour accroître ou diminuer la responsabilité de l’accusé.

En règle générale, l’accusation, après avoir réuni les preuves matérielles et morales du crime, s’efforce toujours de soulever un sentiment d’horreur contre l’accusé. Voilà pourquoi le ministère public fouille sans pitié dans ses antécédents et, après avoir fait connaître son casier judiciaire, remonte jusqu’aux premières années de son enfance, pour y chercher les premières traces du vice précoce.

Une telle méthode est la réfutation de la théorie du libre arbitre : car chaque fait grave de la vie passée de l’accusé pèse sur sa volonté présente et diminue sa part de liberté.

Kant avait déjà remarqué ce fait bien étrange, et il en avait tiré un argument en faveur de sa doctrine du libre arbitre ; Kant professait que le libre arbitre ne doit pas être cherché dans les phénomènes, mais dans les noumènes, et que chacun fait acte de liberté une seule fois, avant de naître, en choisissant d’un seul coup, en quelque sorte, son caractère moral. Evidemment une telle doctrine expliquerait la responsabilité des premiers actes de l’enfance.

À l’inverse, dans tout procès de cour d’assises, la défense, après avoir réfuté l’accusation ou quand même elle n’aurait pas pu la réfuter, s’efforce d’inspirer de la sympathie pour l’accusé. L’avocat remonte, lui aussi, dans la vie passée de son client, mais pour y chercher la trace de ses bons instincts. Souvenons-nous par exemple de l’affaire Tropmann ; avec quelle habileté merveilleuse Me Lachaud, dès les premiers mots de sa plaidoirie, a-t-il essayé d’opérer un virement dans le public, qui à ce moment ne sentait que de l’horreur pour l’assassin de Pantin ! Après avoir retracé en quelques mots la