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HERBERT SPENCER.la morale de kant

Chez les petits enfants, chez les jeunes garçons et les jeunes filles, que l’on avertit de « se tenir droits », chez les gens faibles et chez les vieillards, l’épine dorsale s’affaisse et prend la forme convexe particulière aux Primates inférieurs. Il en est de même du balancement de la tête. Ce n’est que par un effort musculaire auquel l’habitude rend insensibles — comme elle fait pour l’exposition du visage au froid — que la tête conserve sa position ; sitôt que certains muscles cervicaux fléchissent la tête tombe en avant et, dans les cas de faiblesse extrême, le menton repose constamment sur la poitrine.

En vérité, le postulat de Kant est tellement éloigné de la réalité, que c’est plus probablement le contraire qui est exact. Après avoir considéré les exemples sans nombre d’imperfection qui se rencontrent dans les êtres inférieurs, disparaissant à mesure que l’on s’élève aux types plus élevés, et dont on trouve encore des exemples chez ceux qui sont le plus haut placés, — quiconque conclurait, comme il peut raisonnablement le faire, que l’évolution n’a pas encore atteint son terme extrême, celui-là pourrait inférer que, très vraisemblablement, rien qui approche d’un organe parfait n’existe réellement. Ainsi, la base du raisonnement par lequel Kant essaie de justifier son postulat : qu’il existe une bonne volonté en dehors de toute considération de fin, se dérobe complètement, et laisse son dogme dans toute son évidente inconcevabilité.

VII

L’une des propositions contenues dans le premier chapitre de Kant est que « nous voyons que, plus une raison cultivée s’attache de propos délibéré à l’embellissement de la vie et au bonheur, plus l’homme manque de véritables satisfactions ». Une première remarque que l’on doit faire sur cet exposé, c’est que, dans sa forme absolue, il n’est pas exact. J’affirme qu’il est inexact sur la foi d’expériences personnelles. Dans le cours de ma vie, il s’est présenté plusieurs périodes, d’une durée moyenne d’un mois, pendant lesquelles la recherche du bonheur a été mon unique but, et pendant lesquelles je l’ai recherché avec succès. Avec quel succès, on en peut juger par ce fait, que je revivrais volontiers une seconde fois chacune de ces périodes, sans y rien changer, — chose que je ne pourrais certainement prétendre d’aucune époque de ma vie dépensée dans l’accomplissement des devoirs de chaque jour. Ce que Kant aurait pu dire, c’est que la poursuite exclusive de ce que l’on considère comme des plaisirs et des amusements, est décevante. C’est une vérité incontestable ; et cela par la raison bien