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A. BINET.la responsabilité morale

libre, tel qu’on arrive à le définir, est un véritable coup de hasard. Par conséquent, il ne peut impliquer aucune responsabilité. Autant vaudrait frapper d’une peine le joueur de dés toutes les fois qu’il n’amène pas le double six.

Ce n’est pas à dire que la responsabilité n’ait pas pour condition première la liberté. Pour être responsable d’un acte, il faut l’avoir voulu et exécuté librement. Mais cette liberté n’est pas identique avec le libre arbitre des philosophes ; elle consiste tout simplement dans le pouvoir d’agir en conformité avec son caractère ; or ce pouvoir est un fait réel, et jusqu’à un certain point objectif, qui peut se présenter ou faire défaut.

I

On peut étudier la responsabilité morale à deux points de vue bien distincts : au point de vue subjectif de l’agent qui apprécie lui-même la valeur morale de son acte, qui se juge et se condamne ; au point de vue objectif de la réaction émotionnelle qu’un acte produit sur les autres individus, sur les témoins de l’acte et sur la société en général.

C’est à ce second point de vue que nous allons nous placer.

Ceux qui connaissent l’histoire du droit criminel savent que tout au début il a consisté simplement dans la réglementation du sentiment de vengeance qui animait la victime. L’affaire criminelle était une affaire purement privée, comme le sont aujourd’hui nos procès civils ; le débat avait lieu entre l’offenseur et l’offensé ; pour échapper à la vengeance de l’offensé, l’offenseur composait avec lui ; moyennant une transaction, les parties faisaient la paix ; pactum, le pacte, vient de pax, paix ; de même, ποινη, peine, signifie compensation. Et la réparation ordonnée par le juge était mesurée avec une grande exactitude sur l’intensité présumée du sentiment de vengeance qu’il s’agissait de satisfaire. L’idée d’une offense envers la société, d’une vindicte publique n’était pas encore née. Si le magistrat intervenait entre l’offenseur et l’offensé, ce n’était nullement pour représenter les sentiments du corps social. La forme de la procédure criminelle employée à l’origine du droit romain nous le montre suffisamment. Cette procédure est la legis actio sacramenti, que Gaius nous décrit dans toute sa naïveté. Cette procédure est une imitation exacte de la conduite de deux personnes qui se querellent et qui laissent apaiser leur dispute par un magistrat, par un homme probe, vir pietate gravis, qui passe par hasard dans le même lieu. Le demandeur et le défendeur sont armés ;