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auteurs font soutenu l’opinion contraire. « Il n’y a pas de bonne raison, dit M. Féré[1], pour décider que, sous prétexte de trouble mental, un individu dûment reconnu l’auteur d’un crime doit être considéré devant la justice comme différant d’un criminel. Les études physiologiques ont eu beau démontrer que la liberté morale, dont l’homme sain est supposé jouir, n’est qu’une fiction, et que la volonté n’est en somme qu’une résultante…, les esprits les plus éclairés continuent à raisonner en matière de responsabilité comme si le libre arbitre était démontré par des preuves objectives, au-dessus de toute contestation. On est surpris de voir que lorsqu’aucun biologiste n’apporte aucun fait en faveur de l’existence du libre arbitre, on puisse avoir la prétention de distinguer au nom de la science des individus qui ne jouissent que d’un libre arbitre atténué, avec le bénéfice d’une responsabilité partielle, et d’autres qui en soient complètement privés, avec le bénéfice d’une irresponsabilité absolue. »

Il nous semble que les auteurs précédents ont commis ici une confusion en rattachant la responsabilité morale au libre arbitre. Le libre arbitre est, sinon une fiction, du moins un fait qui n’a pas été mis hors de discussion. Il consiste, comme on le sait, d’après la définition des philosophes, dans une exception à la loi générale de causalité ; l’acte libre est l’acte qui n’a pas de cause, ou qui est sa propre cause, ce qui revient au même. Le libre arbitre, pris dans son sens technique, philosophique, n’a rien à faire avec la responsabilité morale ; deux preuves suffiront à le montrer. La première, c’est que la responsabilité morale est un fait approuvé, reconnu, admis par tous, même par celui qui l’a encourue ; jamais un coupable ne récuse la légitimité de la sentence prononcée contre lui, après que la preuve du crime a été faite. Or ni le coupable ni ceux qui l’accusent ne connaissent d’ordinaire la définition philosophique du libre arbitre ; ce n’est donc pas sur ce prétendu libre arbitre que la responsabilité morale est fondée. Le second fait qui démontre qu’il n’y a pas le moindre rapport entre le libre arbitre et la responsabilité, c’est que les propres partisans du libre arbitre finissent par avouer que leur hypothèse est impuissante à expliquer la responsabilité morale[2]. L’acte libre, ne se rattachant à aucun antécédent déterminé, est aussi étranger aux sentiments, au caractère, au tempérament de l’agent que le chiffre de dés qui sort du cornet est étranger au caractère et au tempérament du joueur. L’acte

  1. Dégénérescence et Criminalité, p. 98.
  2. Voir Fouillée, Liberté et Déterminisme, p. 376.