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concours sur la morale de spinoza

le principe de la liberté de penser et de la liberté de conscience ; mais elle le subordonnait, dans la pratique, au bon vouloir des gouvernements. Elle se retrouve encore aujourd’hui dans ce libéralisme inconséquent, dont aucune nation ne s’est entièrement dégagée, qui réclame à la fois la liberté absolue des opinions et l’asservissement des croyances.

À tous ces points de vue, les théories morales et politiques de Spinoza méritaient l’étude approfondie que l’Académie, sur la proposition de sa section de morale, demandait aux concurrents pour le prix Bordin. Cette étude présentait trois écueils. Le premier était de séparer entièrement, dans Spinoza, le moraliste et le métaphysicien, pour ne s’attacher qu’au premier. La forme seule des démonstrations de l’Éthique, où tout s’enchaîne depuis la première définition jusqu’au scolie du dernier théorème, rend manifestement inacceptable une telle séparation. Mais, en évitant cet écueil, il fallait craindre de se heurter à l’écueil contraire. Si la métaphysique de Spinoza doit rester, dans toute analyse de ses doctrines, comme elle était dans l’ensemble même de ses doctrines, la préface de sa morale, elle doit garder, dans une étude spécialement consacrée à sa morale, ce caractère de préface, et il n’y a lieu que d’en rappeler les traits généraux sans en faire l’objet d’une exposition et d’une discussion étendues. Autrement le concours ne relèverait plus de la section de morale, mais de la section de philosophie.

À ce second écueil s’en rattachait un troisième. C’était de ne rechercher que l’influence philosophique de la morale de Spinoza et de n’en suivre les effets qu’à travers l’histoire particulière de la philosophie. La vérité historique ne se prête pas à un tel rétrécissement de la question. Du vivant même de Spinoza, les correspondants qui lui soumettaient les hésitations de leurs consciences n’étaient pas tous de purs philosophes. Au siècle suivant, ces consciences allemandes qu’il conquit à sa morale n’étaient pas toutes des consciences de philosophes. C’est dans les romans, dans la poésie, dans les œuvres littéraires de toute nature, bien plus que dans les systèmes philosophiques, c’est aussi dans les mœurs elles-mêmes qu’il faut chercher les traces les plus manifestes de son influence. D’un autre côté, des recherches ainsi étendues s’imposaient par l’origine même de la question proposée. Votre section de morale, sous peine d’empiéter sur le terrain de la section de philosophie, devait demander surtout aux concurrents de faire ceuvre de moralistes et, lors même qu’il s’agit d’une doctrine philosophique, d’en suivre l’influence au delà des bornes propres de la philosophie[1].

Émile Beaussire.

  1. Extrait du compte rendu de l’Académie des sciences morales et politiques.