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plicilé, la franchise et le charme de la bonhomie. J’ai cité quelques faits qui peuvent donner une idée de ses qualités, il faut lire sa correspondance et les souvenirs de son fils pour l’apprécier à sa valeur.

Il nous a dit lui-même ce qu’il pensait de sa propre intelligence, et son analyse est fort intéressante. On ne l’accusera guère de se surfaire en rien ; mais on reste convaincu que sur bien des points il ne s’estime pas à sa valeur réelle ; d’une manière générale et comme analyse qualitative si je puis dire, le jugement qu’il porte sur lui-même me semble assez exact en tant que je puis en juger. Il est intéressant de voir comment un grand homme s’estime lui-même, et nous y avons une occasion de plus d’apprécier sa modestie, sa simplicité, je dirai même sa candeur.

Voici comment il termine son exposé, et voici le jugement définitif, trop modeste, qu’il portait sur lui-même. « Mes habitudes, dit-il, sont méthodiques, ce qui a été nécessaire à la direction de mon travail. Enfin j’ai eu beaucoup de loisir, n’ayant pas eu à gagner mon pain. Bien que la maladie ait annihilé plusieurs années de ma vie, elle m’a préservé des distractions et des amusements de la société.

« Mon succès comme homme de science, à quelque degré qu’il se soit élevé, a donc été déterminé, autant que je puis en juger, par des qualités et conditions mentales complexes et diverses. Parmi celles-ci, les plus importantes ont été l’amour de la science, une patience sans limite pour réfléchir sur un sujet quelconque, l’ingéniosité à réunir les faits et à les observer, une dose moyenne d’invention aussi bien que de sens commun. Avec les capacités modérées que je possède, il est vraiment surprenant que j’aie pu influencer à un degré considérable la croyance des savants sur quelques points importants » (p. 109).

Je voudrais enfin, en terminant cette notice, dire quelques mots sur un sujet qui peut présenter un intérêt pour les lecteurs de la Revue philosophique, les opinions de Darwin sur la religion. Nous ne sommes pas surpris de voir que Darwin n’avait pas des opinions anti-religieuses bien prononcées. Il commença par être suffisamment orthodoxe, comme nous l’avous vu déjà, et ses convictions étaient suffisantes pour qu’il envisageât sans répugnance la perspective de devenir clergyman. Pendant son séjour à bord du Beagle, il était encore orthodoxe (p. 357). De 1836 à 1839 il arrive graduellement à reconnaître « qu’il n’y a pas à accorder plus de foi à l’Ancien Testament qu’aux livres sacrés des Hindous ». Peu à peu diverses réflexions l’amenèrent à nier la révélation divine du christianisme. Ce ne fut que beaucoup plus tard qu’il songea à la question de l’existence d’un Dieu personnel. À l’époque où il écrivait l’Origine des espèces il était à peu près déiste, très porté à admettre « une cause première avec un esprit intelligent, analogue sous certains rapports à celui de l’homme. » Mais depuis « cette conviction s’est très graduellement affaiblie, avec beaucoup de fluctuations. Mais alors s’élève un doute : cet esprit de l’homme, qui, selon moi, a commencé par n’avoir pas plus de développement que