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compte qu’il devait avoir quelque chose d’un peu particulier, bien qu’il n’ait pas l’air de s’attribuer, même au moment où il écrit et surtout de s’être attribué autrefois une supériorité marquée. La vocation scientifique se manifestait de plus en plus, la lecture de Humboldt et de Herschel lui inspirèrent un zèle ardent ; « je voulais ajouter, dit-il, si humble qu’elle pût être, ma pierre au noble édifice des sciences naturelles. »

En même temps, son esprit se développe, sa conception des choses s’élargit, le collectionneur tend à devenir un savant. Voici un fait qui me paraît intéressant à cet égard : il accompagnait le professeur Sedgwick dans des excursions géologiques un jour : « Pendant qu’il examinait une vieille carrière à graviers, près de Shrewsbury, un paysan me dit qu’il y avait trouvé une grande coquille usée de Volute des tropiques, comme on en voit sur les cheminées des cottages ; et comme il ne voulut pas vendre la coquille, je fus certain qu’il l’avait réellement trouvée dans la carrière. Je racontai le fait à Sedgwick, et il me répondit (sans nul doute avec raison) que cela avait dû être jeté par quelqu’un dans la carrière, mais, ajouta-t-il, si réellement on l’a trouvée en cet endroit, ce serait une grande infortune pour la géologie, car cela renverserait tout ce que nous savons des dépôts superficiels des comtés du Midland.

« En réalité, ces lits de gravier appartiennent à la période glaciaire. Plus tard j’y trouvai des coquilles arctiques brisées.

« Mais au moment même je fus absolument étonné que Sedgwick ne fût pas ravi de la surprenante découverte d’une coquille des tropiques trouvée à la surface du sol, au cœur de l’Angleterre. Rien auparavant ne m’avait encore fait supposer, bien que j’eusse lu divers ouvrages scientifiques, que la science consiste à grouper des faits de façon à en tirer des lois et des conclusions générales. » À cette époque cependant la science ne dominait pas Darwin ; elle était une occupation parmi beaucoup d’autres. « À cette époque, dit Darwin lui-même, je me serais cru fou, si j’avais abandonné en faveur de la géologie ou d’une autre science l’ouverture de la chasse aux perdrix » (p. 62).

Du 27 décembre 1831 au 2 octobre 1836 Darwin fit son fameux voyage à bord du Beagle, qui, dit-il, fut l’événement le plus important de ma vie et a déterminé ma carrière entière. » Il paraissait l’avoir pressenti. « Quelle glorieuse journée le 4 novembre (ce devait être le jour du départ) sera pour moi ! écrivait-il au capitaine Fitz Roy. Ma seconde vie datera de cette époque qui sera un jour de naissance pour le reste de mon existence. »

Nous n’avons pas à parler longuement ici des travaux et des obsertions de Darwin pendant le voyage, nous sommes plus directement intéressés par le développement de son esprit et de son caractère. Peu à peu le goût de la science l’emporte sur tous les autres goûts dont quelques-uns étaient pourtant si développés chez lui. « Durant les deux premières années, ma vieille passion pour la chasse existait presque aussi forte que par le passé ; je tuais moi-même les oiseaux et animaux que