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Il est assez curieux de voir le premier germe des tendances qui domineront plus tard la vie d’un homme ; ces premiers germes sont puissants, mais mal organisés : on trouve déjà dans le caractère et l’esprit quelques éléments qui plus tard en se combinant formeront l’unité de la personnalité. À côté on voit aussi des habitudes qui s’atrophient. Darwin enfant était, à ce qu’il nous dit lui-même, « porté à inventer des mensonges de propos délibéré et toujours pour le plaisir de faire sensation » (p. 33). Un fait nous montre cette tendance combinée avec l’intérêt qu’il portait à l’histoire naturelle. « Je racontai à un autre petit garçon, dit-il, je crois que c’était à Leighton, qui devint par la suite un lichénologue et un botaniste bien connu, que je pouvais produire des Polyanthus et des primevères de teintes diverses en les arrosant avec certains liquides colorés. C’était naturellement une fable monstrueuse, et je n’avais jamais expérimenté la chose. » Pour voir à quel point son désir de faire de l’effet s’était discipliné et combien sa tendance au mensonge avait disparu, il suffit de se rappeler qu’il a passé vingt-deux ans de sa vie à développer, à critiquer et à rédiger l’Origine des espèces.

De 1818 à 1825, de neuf à seize ans, Darwin alla, à Shrewsbury, à la grande école du docteur Butler ; il y fut pensionnaire, tout en s’arrangeant pour faire à la maison paternelle de fréquentes visites, et y reçut l’instruction classique, dont il ne paraît pas avoir gardé un bon souvenir. Il faut signaler un goût prononcé qu’il avait pour les longues promenades solitaires. « J’ignore, dit-il, à quoi je pouvais bien songer. Il songeait très fort en tout cas, puisqu’un jour, marchant dans un sentier sans parapet, il s’écarta sans s’en apercevoir de la bonne direction et tomba d’une hauteur de sept à huit pieds.

« Me remémorant aussi bien que je le puis mon caractère durant ma vie d’écolier, les seules qualités pouvant être d’un bon augure pour l’avenir étaient mes goûts divers et prononcés, beaucoup de zèle pour tout ce qui m’intéressait et un vif plaisir en comprenant un sujet ou une chose complexe. Euclide me fut enseigné par un professeur particulier, et il me souvient distinctement de l’intense satisfaction que me procuraient les démonstrations géométriques » (p. 38). D’autre part il aimait à lire et lisait Shakespeare, Byron et Scott. Il continuait aussi à collectionner les minéraux, « mais sans but scientifique. Je désirais avant tout posséder des minéraux nouvellement baptisés et j’essayais à peine de les classer. » À dix ans, il s’intéressait beaucoup aux insectes, et se décidait presque à former une collection de tous ceux qu’il pourrait trouver morts, « car, dit-il, après avoir consulté ma sœur, j’arrivais à la conclusion qu’il n’était pas bien de tuer des insectes pour l’amour d’une collection » (p. 39).

En 1825 il fut envoyé à l’université d’Edimbourg, pour commencer des études de médecine ; il n’y prit pas beaucoup de goût : l’anatomie le dégoûta et le professeur lui parut fort ennuyeux ; il suivit sans grand intérêt les services de l’hôpital ; il assista à l’amphithéâtre à deux opé-