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ANALYSES.e. caro. Mélanges et portraits.

monde sublunaire. D’après lui, Dieu forme avec sa création un genre, mais ce n’est pas un genre logique, c’est un genre métaphysique, qui n’est fondé que sur une communauté analogique (p. 260). Parmi les lois morales, les seules nécessaires sont celles qui se rapportent à Dieu : les lois de la morale sociale reposent sur des décrets arbitraires de Dieu, qui peut nous relever des devoirs qu’elles nous imposent. Occam reproduira cette théorie, qui avait déjà été celle de saint Bonaventure et de saint Bernard. Le respect que Duns Scot portait à la lettre de la Bible a fort contribué à entretenir chez lui cette manière de voir, à laquelle saint Thomas était opposé.

Il faut être reconnaissant à M. Pluzanski de nous avoir donné cette très pénétrante étude de la philosophie du Docteur subtil : son livre comble une importante lacune de la littérature philosophique en France. Il l’a fait précéder d’une notice biographique qui renferme le peu que nous savons de la vie de Duns Scot.

L. Marillier.

E. Caro. — Mélanges et Portraits, 2 vol.  in-16. Hachette, 1888.

M. Caro a sa place marquée dans l’histoire de la philosophie française au xixe siècle. Ce n’est pas qu’il laisse un système et une école ; on ne pourrait qu’avec peine trouver dans ses ouvrages une doctrine nouvelle, un argument auquel attacher son nom. Mais, s’il a peu inventé en philosophie, nul n’a possédé mieux que lui le talent de comprendre les systèmes, de les exposer dans un style agréable, de les présenter sous toutes leurs formes. C’est là ce qui constitue son incontestable supériorité et sa réelle valeur ; il a su mettre à la portée du grand public les théories abstraites de la philosophie, et, soit qu’il résume les ouvrages d’autrui, soit qu’il parle pour son propre compte, il le fait toujours en artiste. Telles sont les réflexions que nous suggérait la lecture des dernières pages qu’il nous a laissées. Malgré la variété des questions traitées, on retrouve toujours au fond les deux idées sur lesquelles, nous dit M. Martha dans son intéressante notice, l’auteur « ne pouvait faire de concession : Dieu et l’âme. » M. Caro nous retrace, dans ses Souvenirs d’un enseignement à la Sorbonne, sa lutte pour sauver la métaphysique et l’établir en dehors et au-dessus de la science positive. C’est la liberté qu’il essaye de sauvegarder dans ses Essais de psychologie sociale[1], à propos de l’hérédité intellectuelle et morale. À côté du tempérament, des influences qui paraissent déterminer nos volitions, M. Caro veut qu’on reconnaisse un élément d’individualité irréductible à tout autre, qui se manifeste dans chaque acte libre et qui permet à l’homme de refaire son caractère, d’échapper aux conséquences de l’hérédité par une nouvelle éducation volontaire. C’est

  1. T. I, page 36.