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talité des trois âmes ; il pense sur ce point comme saint Thomas. Bien que Scot enseigne que c’est l’à me qui anime le corps et qui est le principe de la vie, il assigne au corps une forme propre, la corporcité. Le principe qui domine toute la théodicée de Duns Scot, c’est celui de la liberté de Dieu. C’est sur l’expérience qu’il s’appuie pour induire la liberté en Dieu : de l’indétermination qu’il constate dans la suite des choses, il conclut à l’indétermination à l’origine des choses, c’est-à-dire à l’indétermination dans la volonté divine. Un être libre ne saurait avoir été produit fatalement. Ce Dieu libre est un Dieu infini et ces deux caractères de la divinité sont étroitement liés dans la métaphysique de Duns Scot. Il faut signaler ici les quelques pages fort intéressantes (pp. 149-162) que M. Pluzanski a consacrées à l’étude rapide des théories de l’antiquité et du moyen âge sur l’infinité de Dieu. Pour Scot les attributs de Dieu sont distincts les uns des autres, malgré la simplicité de son essence (p. 171) ; il y a entre eux une non-identité formelle : de là le nom de formalistes donné aux disciples du Docteur subtil. La volonté et l’intelligence sont distinctes en Dieu, et la conception des possibles possède sur la détermination libre une priorité logique, mais les possibles eux-mêmes sont créés par l’entendement divin et cette création est essentiellement libre, exempte de toute nécessité : à l’origine intemporelle des choses la volonté et la pensée sont indissolublement unies en Dieu, bien que logiquement distinctes, et l’on pourrait dire que son entendement même est volonté, mais que c’est une volonté qui a conscience d’elle-même. Il est impossible d’assigner un motif au choix que Dieu a fait des possibles qu’il a appelés à l’existence par un acte souverain de sa volonté. Mais cette volonté autonome n’est pas une volonté capricieuse : l’univers est gouverné par des lois à la fois contingentes et invariables ; la foi seule nous garantit la possibilité du miracle. Ce que l’on ne saurait dire, c’est que le monde actuel est le meilleur possible : il est indiscret de chercher à justifier par des raisons de convenances l’ordre qu’il a plu à Dieu de décréter dans l’univers. Aussi Scot s’interdit-il en théologie les constructions a priori qu’aimait saint Thomas et s’en tient-il à une méthode strictement exégétique. La matière est constituée pour Duns Scot par la capacité de recevoir une perfection ou un amoindrissement aussi soutient-il, contrairement à l’opinion de saint Thomas, que tous les êtres créés renferment de la matière. La matière peut exister indépendamment de la quantité, mais c’est autre chose qu’une pure possibilité par sa capacité à recevoir, elle existe déjà en acte en quelque mesure. Scot admet aussi, et sur ce point encore il diffère d’opinion avec le Docteur angélique, la possibilité d’une matière première historiquement antérieure à tous les êtres. Mais l’unité de la matière n’est pas pour lui comme pour David de Dinan l’unité de la substance : il n’est en aucune mesure panthéiste. Il ne fait en somme que suivre saint Augustin et saint Bonaventure, et il prépare sans en avoir conscience les voies à l’astronomie moderne en admettant la communauté de nature entre les cieux incorruptibles et le