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mes que l’intellect se donne à lui-même en raison de son activité propre et non des entités qui existent par elles-mêmes et que l’on puisse séparer de l’esprit. Le rôle de l’intellect ne se borne pas au reste à la connaissance du général : il concourt à la connaissance des choses particulières. L’intellect agent est différent de la pensée en acte. « L’intellect patient (p. 57) est une puissance ou un acte, tantôt pense et tantôt ne pense pas, c’est lui qui pense, c’est l’intellect actif qui le fait penser. La forme que l’intellect actif donne à l’intellect passif, forme qui a une priorité logique sur la pensée et qui lui survit, cette forme, c’est l’espèce intelligible. Mais le formalisme de Scot est un formalisme objectif : « L’universel a sa cause dans l’intellect, mais la matière ou l’origine ou l’occasion en est dans une propriété des choses, et il n’est nullement une fiction de l’esprit[1]. » Le rôle de l’intellect, c’est de conférer l’universalité à une notion commune à plusieurs êtres, ce n’est pas de construire cette notion : elle nous est donnée comme n’étant ni individuelle, ni universelle, indifférente au nombre, si j’ose dire l’esprit crée le général, il est vrai, mais il ne le crée qu’en tant que général. Si les choses n’avaient rien de commun que le concept sous lequel nous les avons arbitrairement comprises ou le nom que nous leur avons donné, toute la science se réduirait à la logique, mais, lorsque nous affirmons des rapports, nous les prétendons réels, ce qui suppose des natures communes. Ce sont ces natures communes qu’avec les autres scolastiques Scot appelle quiddités, elles sont de leur essence indifférentes à l’unité ou à la pluralité. Sa théorie n’est pas une théorie panthéistique, il ne croit pas à l’unité substantielle des êtres, à l’unité numérique de l’universel. Pour participer du même genre et de la même essence, deux individus n’en forment pas un seul : leur nature commune n’est pas une d’une unité numérique. La théorie de Scot est au fond celle de Guillaume d’Occam et elle diffère peu de celle de saint Thomas. L’individualité a pour Duns Scot un caractère positif, elle ne consiste pas dans le simple fait de n’être pas un autre, elle n’est pas constituée par l’existence actuelle, elle n’a dans les accidents que son principe extrinsèque. Ce n’est pas dans la matière étendue qu’il faut chercher, comme le veut saint Thomas, le principe intrinsèque d’individuation, c’est une forme particulière qui s’ajoute chez l’individu à la nature spécifique : c’est cette forme que l’on a appelée hæcceitas, terme qui ne se trouve pas dans les livres de Scot ; ce principe constitutif de l’individualité est une entité, mais non une substance ; ce n’est pas un être à part, c’est ce qui a achevé la réalité de l’être, ultima realitas entis. Peut-être y a-t-il dans cette doctrine de Scot le germe d’une doctrine dynamiste qui pourrait s’opposer à l’organicisme de saint Thomas. L’idée que nous avons de Dieu a comme toutes les autres son origine dans l’expérience, c’est une idée complexe formée synthétiquement à l’aide de plusieurs autres idées. Au-dessus de toutes les autres idées que nous pouvons nous

  1. Scot, Super Univ. Porphyr., q. 4, t.  I, p. 90.