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ANALYSES.ch. letourneau. L’évolution du mariage.

et souvent même les chassent. L’homme, qui a sûrement débuté comme l’animal, est arrivé de bonne heure, non pas à des idées de filiation précise, mais à une vague idée de consanguinité entre tous les membres de sa horde. Dans ces petits groupes primitifs, on n’a pas distingué d’abord entre la parenté réelle et la parenté fictive. Tous les hommes d’un même clan ont été frères, toutes les femmes ont été sœurs, et, l’habitude invétérée de l’exogamie aidant, il s’est formé une morale grossière qui condamnait les incestes sociaux. Mais, comme la vie du clan était avant tout communautaire, tout en interdisant les mariages dans le sein du clan, on a décidé que les clans de même nom, c’est-à-dire ayant essaimé les uns des autres, seraient unis par une sorte de mariage social, toutes les femmes de l’un étant communes à tous les hommes de l’autre. » Peu à peu l’instinct d’appropriation individuelle fit son ceuvre, les femmes se répartirent entre les hommes, il se forma des familles diverses ; la promiscuité de clan à clan fut supprimée. Dans cette union sociale primitive, dans le clan familial, « tout le monde était consanguin, mais d’une manière confuse ; les femmes avaient plusieurs maris et les maris plusieurs femmes ; les degrés de parenté n’étaient pas individuels ; ils s’appliquaient à des classes d’individus. » Chacun avait ainsi des groupes de pères, de mères, de frères, de sœurs, mais « dans ces groupes de consanguins, dans ces clans à parenté confuse encore, ce qui se différencia d’abord, le plus habituellement, ce ne fut pas la famille paternelle, ce ne pouvait guère l’être, car bien rarement le père d’un enfant n’était pas facile à désigner, ce fut la famille maternelle. » Très fréquemment en effet, la famille maternelle a précédé la famille paternelle, la coutume de la couvade, qui est assez répandue et se retrouve chez nombre de peuples, paraît un reste de la transition entre les deux modes de la famille ; « par cette pratique, propre à frapper l’attention, le père affirmait hautement sa paternité, et sans doute acquérait certains droits sur le nouveau-né. » Toutefois longtemps la famille maternelle se défendit contre l’intronisation de la famille paternelle et çà et là elle parvint à se maintenir et à servir de base à la transmission des héritages. Car, paternelle et maternelle, l’institution de la famille, quand elle fut bien consolidée, eut pour résultat de morceler l’avoir des anciens clans et de créer la propriété familiale ou individuelle avec les débris de l’antique propriété commune. En fin de compte, il ne subsista plus guère du clan, de la gens que le signe, que le totem, le nom et une parenté, nominale aussi, entre les diverses familles qui en étaient sorties. Le système et le vocabulaire de la parenté sont alors renouvelés : au mode classificateur, groupant les parents par classes, sans trop se soucier de la consanguinité, a succédé le mode descriptif, qui spécifie soigneusement le degré de consanguinité de chaque personne, distingue une ligne directe et des lignes collatérales, dans lequel chaque individu est le centre d’un groupe de parents. »

M. Letourneau apprécie ainsi le caractère général de l’évolution du