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sociale, toutes les races humaines ont pratiqué, avec plus ou moins de brutalité, cette polygamie grossière.

Peu à peu la monogamie s’imposa ; toutes les nations civilisées ont fini par l’adopter, « au moins en apparence ». Parmi les causes qui les firent adopter, l’auteur place en première ligne « l’équilibre sexuel, dès qu’il ne fut plus détruit par les méfaits de la vie sauvage. Sans doute, dans une société composée, en nombre sensiblement égal, d’hommes et de femmes, les plus puissants et les plus riches peuvent accaparer plusieurs femmes de par le droit du plus fort, mais alors ils lèsent manifestement la communauté et l’opinion générale devient forcément hostile à leur manière d’agir ». Une autre cause puissante fut « l’institution de la propriété individuelle et héréditaire ». En effet, dans toutes les sociétés plus ou moins civilisées, le souci de la propriété successible a bien vite pris une importance capitale ; le règlement plus ou moins équitable des questions d’intérêt, la préoccupation de sauvegarder ces intérêts forment la base solide de tous les codes écrits. Or, presque partout, l’héritage s’est transmis suivant la filiation, tantôt maternelle, tantôt paternelle ; mais c’est seulement dans le régime monogamique que la parenté des enfants est la même pour tous dans la ligne paternelle aussi bien que dans la ligne maternelle. Par surcroît, les motifs moraux ont pu renforcer les grandes influences résultant des lois de la natalité et de toutes-puissantes questions d’intérêt.

La monogamie n’est pas toutefois un signe certain d’une civilisation supérieure : « au premier degré de la sauvagerie et de l’inintelligence, l’homme peut être monogame ; certains animaux le sont bien, » mais la polygamie ne disparaît pas subitement dans l’évolution du mariage, même chez les races qui adoptent le mariage monogamique ; « quand, au cours de l’évolution progressive des sociétés, la monogamie a fini par devenir morale et légale, on a eu soin d’en adoucir la rigueur en maintenant à côté d’elle le concubinat et la prostitution, en laissant d’ordinaire au mari le droit de répudiation, que, presque toujours, on refusait à la femme. Enfin, dans sa forme dernière, le mariage monogamique, qui avait d’abord été l’association d’un maître et d’une esclave, tenait de plus en plus à devenir l’union de deux personnes vivant sur un pied d’égalité ».

L’évolution de la famille est analogue à celle du mariage. Dans plusieurs chapitres de son ouvrage, M. Letourneau étudie successivement le clan familial en Australie et en Amérique (ch.  XVI), le clan familial et son évolution (ch.  XVII), la famille maternelle (ch.  XVIII) et la famille dans les pays civilisés (ch.  XIX).

II trouve dans le clan familial des Australiens et des Peaux-Rouges l’occasion de remonter à l’origine des idées de parenté. « Rien de pareil ne semble exister chez les animaux. Dans les espèces les mieux douées, les parents, surtout les femelles, aiment d’instinct les jeunes, mais uniquement tant qu’ils sont jeunes. Plus tard, ils ne les reconnaissent plus