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HERBERT SPENCER.la morale de kant

quent, doit être ignorée au premier pas. Nous passons maintenant à une illustration de cette méthode qui nous occupe ici.

V

La première phrase du premier chapitre de Kant est ainsi conçue : « Il n’est pas possible de rien concevoir dans le monde, qui puisse être appelé bon sans condition, excepté une bonne volonté. » Et immédiatement à la page suivante, nous tombons sur cette définition :

« Une bonne volonté est telle, non à cause de ce qu’elle accomplit ou exécute, ni pour son aptitude à la réalisation d’une fin proposée, mais par la simple vertu de la volition, c’est-à-dire qu’elle est bonne en elle-même et que, considérée en elle-même, elle doit être estimée à plus grand prix que tout ce qui peut être exécuté par elle en faveur d’une inclination, ou plus encore, de la somme totale de toutes les inclinations. »

Beaucoup d’erreurs proviennent de l’habitude de se servir des mots sans les résoudre complètement en pensées, — et aussi de se contenter de reconnaître au passage leurs sens ordinairement usités, sans s’arrêter à considérer si ces acceptions peuvent leur être attribuées dans les cas en question. Ne nous contentons pas de penser vaguement à ce qui est sous-entendu dans « une bonne volonté », mais fixons d’une manière précise le sens des mots. Volonté implique la connaissance d’une fin à atteindre. Supprimez toute idée de but, et le concept de volonté disparaît. Une certaine fin étant nécessairement impliquée dans le concept de volonté, la qualité de la volonté est déterminée par la qualité de la fin poursuivie. La volonté elle-même, considérée comme dépouillée de toute marque distinctive, n’est pas du tout du domaine de la moralité. Elle ne relève de la moralité que lorsqu’elle revêt un caractère bon ou mauvais, en vertu de la fin poursuivie comme bonne ou mauvaise. Si quelqu’un en doute, qu’il essaye de penser à une volonté bonne qui poursuit une mauvaise fin. La question tout entière se réduit donc à savoir ce que veut dire le mot bon. Examinons les sens ordinaires qu’on lui donne.

Nous parlons de bonne viande, de bon pain, de bon vin, et par ces phrases nous entendons soit des choses qui sont agréables au goût, et ainsi procurent du plaisir, ou des choses qui sont saines et qui, procurant la santé, procurent par là le plaisir. Un bon feu, un bon vêtement, une bonne maison sont ainsi appelés parce qu’ils donnent le bien-être, c’est-à-dire le plaisir, ou parce qu’ils satisfont nos sentiments esthétiques, ce qui est encore du plaisir. Il en est de même des