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ANALYSES.ch. letourneau. L’évolution du mariage.

pas, dit-il, croire, avec certains sociologistes, que la polyandrie ait jamais été une phase matrimoniale universelle et nécessaire. L’énorme consommation d’hommes que nécessite la vie sauvage ou barbare a poussé bien plus souvent à la polygamie. C’est seulement dans certaines sociétés, où la pratique de l’infanticide féminin dépassait toute mesure, ou bien dans certaines îles, certaines régions peu ou point peuplées, où des conquérants mal pourvus de femmes venaient s’établir, que la polyandrie a pu se généraliser et durer. Elle n’est sûrement qu’une forme exceptionnelle du mariage et l’on peut énumérer les pays où elle a été ou est encore en usage. » L’auteur passe en revue les divers faits connus de polyandrie : au Thibet, par exemple, la polyandrie fraternelle est de règle, « le droit d’aînesse se combine avec le droit de mariage, et les frères puînés suivent le sort de leur chef. C’est ce dernier qui se marie pour tout le monde et choisit la femme commune. Cependant, à en croire d’autres renseignements, une certaine liberté serait laissée au frère cadet. La contrainte qui pèse sur eux serait surtout économique. Une fois en régime polyandrique, les frères puînés ont une situation subalterne. L’aîné, le mari en chef, les considère comme des serviteurs et a même le droit de les renvoyer sans aucune ressource si bon lui semble. Le mari principal vient-il à mourir, alors sa veuve et en même temps sa propriété et son autorité passent au frère puîné le plus âgé. Dans le cas où le frère ne serait pas un des maris copartageants, il ne peut hériter ni de la propriété sans la femme, ni de la femme sans la propriété. »

La polyandrie des Naïrs du Malabar est aussi très curieuse. Les filles se mariaient de très bonne heure. « La nouvelle épousée avait rarement plus de douze ans. On débutait par une union éphémère, une sorte de mariage postiche, mais célébré avec de grandes réjouissances, en présence des parents et amis. » Au bout de quelques jours, le mari partait pour toujours et la femme contractait une série de mariages partiels, mais durables ; elle pouvait prendre pour époux qui bon lui semblait, sauf le mari provisoire. « Le nombre de ses maris variait de quatre à douze. Chaque époux copartageant était à son tour mari en titre pendant un temps très court, variant d’un jour à dix jours, et il restait de son côté libre de participer à diverses sociétés conjugales polyandriques… Ordinairement les maris naïrs n’étaient ni frères ni parents. »

La polyandrie se présente sous deux formes principales : la polyandrie matriarcale et la polyandrie patriarcale. Dans la première, la femme ou la fille ne quitte pas sa famille ou sa gens ; parfois même on lui laisse le droit de choisir ses maris, qui ne sont point parents entre eux, et dont la femme dépend à peine, puisqu’elle reste avec les siens et enfante pour eux.

« Au contraire dans la polyandrie patriarcale, la femme capturée ou achetée est en quelque sorte déracinée ; elle quitte ses protecteurs naturels pour aller avec ses époux auxquels elle appartient, qui sont en