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promiscuité générale. » Toutefois la plupart des faits qu’il rapporte paraissent à M. Letourneau « mal observés, contestés, ou affirmés par un seul témoignage » ou bien encore « ils ne reposent que sur des on dit ». « Il est donc prudent, ajoute l’auteur, de les tenir en légitime suspicion et surtout, certains d’entre eux fussent-ils exacts, il faut se garder d’en tirer des conclusions générales. La promiscuité a pu être adoptée par certains petits groupes humains, mais jusqu’ici rien ne prouve suffisamment qu’il y ait eu dans l’humanité un stade de promiscuité. »

Il faut renoncer de même à la théorie de l’hétaïrisme primitif et obligatoire, d’après laquelle, « quand l’instinct de la propriété fémine s’éveille chez l’homme, quelques individus se seraient arrogé le droit de garder pour eux seuls une ou plusieurs des femmes jadis communes ; mais alors la communauté aurait protesté et, tout en tolérant cette dérogation à l’antique usage, elle aurait exigé que l’épousée, l’achetée fit acte d’hétaïrisme, de prostitution, avant d’appartenir à un seul. » L’auteur rapporte le célèbre passage d’Hérodote sur les Babyloniennes où il ne voit qu’ « un exemple de prostitution sacrée avec des traces d’exogamie ». La prostitution sacrée répandue dans l’antiquité grecque et dans l’Inde doit être rapprochée de coutumes analogues. En diverses contrées, on retrouve le jus primæ noctis ; la nouvelle mariée, avant d’appartenir à son mari, doit être livrée soit à un certain nombre d’hommes, parents, amis, concitoyens, soit au roi, au seigneur. Le droit seigneurial de prélibation « est simplement un abus de la force et du bon plaisir » ; le jus primæ noctis des parents et amis, « en admettant même qu’il ne s’agisse pas simplement de polyandrie, pourrait bien naturellement s’expliquer par la primitive licence des mœurs. Chez la plupart des peuples peu ou point civilisés, les femmes, avant le mariage, sont libres de se donner ou de se vendre comme il leur plaît, sans que cela tire à conséquence, et elles usent largement de cette liberté. En outre, dans nombre de contrées, le mari avait, ou possède encore sur sa femme, tous les droits d’un propriétaire sur la chose possédée ; quand on est étranger à toute pudeur, à toute retenue sexuelle, rien ne semble plus naturel, si l’on a quelque instinct de sociabilité, que de prêter sa femme à ses amis, comme on leur fait une politesse, un cadeau, comme on les invite à un festin, le tout sans penser à mal. Des faits fort nombreux appuient cette manière de voir. »

Le quatrième chapitre est consacré à quelques formes irrégulières d’association sexuelle : le prêt ou la location des femmes, l’amour contre nature, l’inceste, la défloration artificielle, les mariages à l’essai, les mariages temporaires, les mariages partiels et les mariages à terme y sont successivement étudiés. Ce chapitre est très curieux, mais nous ne nous y arrêterons pas davantage, pour ne pas trop allonger ce compte rendu.

Le chapitre V traite de la polyandrie ; ici encore l’auteur est amené à réagir contre les opinions de certains de ses devanciers. « Il ne faut