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nombre est une quantité, la loi selon laquelle le carré est formé n’est pas elle-même une quantité.

En résumé, la seule différence qui nous paraisse exister entre les définitions géométriques et les définitions empiriques, c’est que les premières ne portent que sur une possibilité théorique et sont dès lors rigoureusement exactes, tandis que les secondes visent à reproduire une réalité concrète et peuvent ne pas l’atteindre à cause de sa complexité. Mais celles-ci, quand elles sont certaines, ne sont pas moins définitives et nécessaires que celles-là. Les unes et les autres sont indispensables. Ni les unes ni les autres ne sont au début ou à la fin de la science. D’un côté, les définitions géométriques sont précédées d’intuitions sensibles et d’opérations discursives de l’esprit ; d’un autre côté, les définitions empiriques servent comme les définitions géométriques à la démonstration syllogistique et par là à la science même. La constitution des définitions marque donc une étape moyenne dans la constitution de toutes les sciences, aussi bien des sciences géométriques que des sciences de la nature.

Nos conclusions seraient donc moins simples et moins symétriques que celles de M. Liard. Nous n’avons d’ailleurs guère voulu que soulever des doutes et fournir au lecteur des points d’interrogation et des moyens de se reprendre au sortir de la lecture de l’ouvrage si attachant de M. Liard, où l’exposition est si magistrale qu’on a peine à songer à la critique. Le sujet, malgré sa délimitation apparente, touche, on l’a pu voir, aux plus importantes en même temps qu’aux plus subtiles questions. L’auteur fait même plus que de les toucher, il a pu dans un nombre de pages relativement petit condenser leur solution. M. Liard s’est donné la peine de s’instruire des sciences dont il avait l’intention de traiter. Les géomètres et les naturalistes de profession ne pourront l’accuser d’incompétence. Ce volume est l’œuvre d’un esprit remarquablement net, qui voit les questions de haut et sait les traiter à la fois avec concision et avec ampleur. L’auteur sait trouver le moyen de concilier ces deux qualités contraires, en ne prenant des choses que l’essentiel et en y appuyant fortement. En ces matières sévères et sèches, il a su être vivant. Un si rapide courant de logique anime ces pages qu’elles en deviennent attrayantes et, le dirai-je ? comme passionnées. Là où sur la foi du titre on pouvait croire ne trouver qu’un sec logicien, on rencontre un écrivain, un savant et un penseur. En lisant sous sa forme nouvelle cette thèse inaugurale d’un philosophe qui avait, lors de sa publication, à peine vingt-cinq ans, on ne peut se défendre de regretter que l’administration nous ait fait tort d’un tel maître. Mais nous nous rappelons aussitôt les services que le directeur de l’Enseignement supérieur a rendus à la philosophie à Paris et en province, les chaires nouvelles qu’il a créées, l’impulsion qu’il ne cesse de donner. La Revue philosophique ne peut plus avoir de regrets.

G. Fonsegrive.