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ANALYSES.l. liard. Définitions géométriques, etc.

Que si on observe qu’en géométrie la démonstration se fait par substitution d’éléments et non par la dépendance des éléments les uns vis-à-vis des autres, de sorte que la démonstration mathématique est entièrement différente de la démonstration syllogistique, on avance sans doute une proposition incontestable, mais qui ne prouve nullement, à mon avis, que la notion d’espèce ne joue aucun rôle en géométrie. En effet, quand on compare une figure à une autre, c’est toujours sous le rapport de la quantité de l’une avec la quantité de l’autre. Or, les rapports de quantité ne peuvent être que des rapports d’égalité ou d’inégalité sans milieu. Aussi l’espèce et le genre semblent-ils jouer un rôle peu important dans ces sortes de démonstrations. Et cependant cette apparence est trompeuse. En effet, de quoi dépend la quantité d’un élément de la figure ? De la loi même qui a procédé à la construction de cette figure. D’où vient par exemple que, dans le triangle rectangle, les deux angles autres que l’angle droit sont complémentaires l’un de l’autre ? Cela dépend évidemment de la loi de construction du triangle rectangle. Or, n’est-ce pas précisément cette loi de construction qui a déterminé l’espèce sous le genre et dès lors la différence spécifique ne domine-t-elle pas tous les théorèmes sur les triangles rectangles où on se sert de cette propriété comme d’un moyen de démonstration ? C’est qu’il y a en géométrie autre chose que la pure quantité, il y a aussi de la qualité. M. Liard a excellemment établi que la définition d’une figure n’est que l’expression de la loi selon laquelle cette figure a été engendrée. Or, la loi n’est pas une quantité, M. Liard l’a très bien montré, elle est un acte de l’esprit, une détermination qualitative de l’espace. Puisque donc le genre et l’espèce naissent de la hiérarchie des qualités, si les lois géométriques sont des qualités, il faut bien admettre que la subordination des lois d’où dérive toute la suite des théorèmes ne diffère pas essentiellement de la hiérarchie des genres et des espèces, et que dès lors cette hiérarchie a une importance considérable en géométrie.

Par cette assimilation des définitions géométriques aux définitions empiriques, on pourrait craindre que nous refusions de distinguer avec Kant les intuitions et les concepts. Cette crainte serait sans motif. L’intuition est indéterminée et ne se détermine que de deux façons, par la numération de ses parties supposées homogènes, ou par la différenciation qualitative de ces parties. Les nombres en tant que nombres, qu’ils s’appliquent à l’espace, au temps ou à la qualité même, ne peuvent supporter que trois relations : égalité, majorité ou minorité. Mais dès qu’on considère dans la quantité autre chose que le nombre en tant que tel, dès qu’on divise les nombres en pairs et impairs, en entiers ou fractionnaires, en cubes ou en carrés, on sort aussitôt de la quantité pour entrer dans la qualité, de l’intuition pour entrer dans le concept. Ainsi les rapports entre quantités ne sont pas des quantités ; si le carré d’un

    fémur et tous les autres, et puis chacun séparément, donnent la dent ou se donnent réciproquement. »