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fois et d’un seul coup étendre à tout l’espace et à tout le temps la notion universelle. Cette remarque n’enlève rien d’ailleurs à la valeur des raisonnements que va faire M. Liard. Il est nécessaire, puisque la classification repose sur l’induction, de déterminer quelle est la valeur de l’induction. M. Liard s’attache à montrer que sans la pensée il n’y a point de science et que, pour que la pensée puisse subsister, il faut qu’il y ait des relations universelles, des lois nécessaires qui unissent dans un même esprit les diverses pensées entre elles. Or, ces relations universelles et nécessaires ne peuvent être qu’à priori. « Le sensualisme ne peut, ce semble, sortir du dilemme suivant : ou bien les rapports de nos idées sont particuliers et fortuits, et alors la pensée est impossible ; ou bien ils sont universels et nécessaires, et alors ils ne viennent pas de l’expérience. Dans le premier cas, à quoi bon se torturer l’esprit à chercher l’explication d’une pensée qui n’existe pas ? Vivons, mais ne pensons pas. Dans le second, les efforts du raisonnement le plus subtil ne feront jamais que l’immensité et l’éternité, indéfiniment étendues, rentrant en quelque sorte en elles-mêmes, se concentrent dans le point où nous sommes et dans l’instant où nous vivons (141). » Ainsi se trouve expliquée l’induction impliquée dans la classification.

Mais une nouvelle question se pose : cette induction, résultat nécessaire des lois subjectives de la pensée, quelle sera sa valeur ? Ici, trois hypothèses sont possibles : « Ou bien nous ne savons pas si le monde existe, la pensée tout entière est notre œuvre, et ce que nous prenons pour une réalité objective n’est que la projection de nos conceptions subjectives hors de nous-mêmes ; ou bien le monde existe, mais nous n’en connaissons pas la loi, et l’on peut supposer alors que les phénomènes extérieurs suivent un autre cours que nos pensées ; ou bien le monde existe, et l’enchaînement des phénomènes correspond à l’enchaînement de nos idées (143). » Ainsi M. Liard est amené à se prononcer entre l’idéalisme subjectif, l’agnosticisme, et l’harmonie intellectuelle préétablie. À l’idéalisme il objecte que la pluralité des éléments sensibles ne peut s’expliquer par le jeu des catégories de la pensée ; à l’agnosticisme il reproche de se contredire, car nous ne pouvons connaître l’existence du monde sans connaître l’existence de quelques-unes de ses lois ; il se range donc à l’opinion qui admet un accord entre la pensée et les choses, et se déclare par là partisan du vieux dogmatisme. M. Liard ajoute seulement qu’on ne saurait démontrer cette dernière opinion. Directement, c’est de la dernière évidence. Mais les faiblesses et les contradictions des deux seules opinions possibles en dehors de celle-là ne constituent-elles pas une véritable preuve à son profit ? Après Jouffroy et bien d’autres, M. Liard répète qu’il faut croire sans preuve à la valeur de l’esprit, qu’à la base de la science il y a un acte de foi. Dans la bouche d’un vrai criticiste, cette façon de parler se comprend, dans celle de l’auteur elle risque d’engendrer des équivoques. Aristote a enseigné la différence qu’il y a entre croire, savoir et comprendre. On comprend nécessairement et