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Qu’est-ce que cette méthode ? Prenez l’une quelconque des sciences qui nous occupent ; toutes procèdent d’une manière uniforme : elles partent de propositions dont le contraire est inconcevable, et s’avancent par une suite de propositions dépendantes ayant toutes ce caractère commun — l’inconcevabilité de son contraire. Dans une conscience adulte (et naturellement je ne m’occupe pas des esprits dont les facultés sont encore à naître), il est impossible de se représenter des choses qui seraient égales à une même troisième, tout en étant elles-mêmes inégales ; et dans une conscience adulte, l’action et la réaction ne peuvent être pensées autrement comme termes corrélatifs. Semblablement, chaque parce que, et chaque donc employé dans un raisonnement mathématique connote une proposition dont les termes sont en complète conformité avec le mode affirmé : le critérium étant dans l’inutilité de tout effort pour rapprocher dans la conscience les termes de la proposition contraire. Et ce critérium auquel on soumet à la fois les propositions fondamentales et l’édifice de propositions élevées sur celles-ci, est encore légitimement employé pour vérifier la conclusion. On compare l’inférence et l’observation ; si elles s’accordent, il est inadmissible que le raisonnement ne soit pas vrai.

En face de la méthode que je viens d’exposer, et qu’on peut appeler, pour la distinguer, la méthode a priori légitime, il y en a une autre que l’on peut appeler — j’allais dire la méthode a priori illégitime, mais le mot n’est pas assez fort : il faut dire qu’elle est la méthode a priori renversée. Au lieu de partir d’une proposition dont le contraire est inconcevable, elle part d’une proposition dont l’affirmation est inconcevable, et de là, elle se met à tirer des conclusions.

Elle n’est pas conséquente avec elle-même, cependant ; elle ne continue pas à faire ce qu’elle fait au début. Tout en ayant pris une proposition inconcevable comme point de départ, elle ne forme pas la chaîne de son raisonnement d’une série de propositions inconcevables. Tous les pas, sauf le premier, sont de l’espèce ordinairement acceptée comme légitime. Les parce que et les donc qui suivent ont les connotations usuelles. La singularité repose en ceci que, dans toute proposition à l’exception de la première, le lecteur doit s’attendre à admettre la nécessité logique des inférences tirées, par la raison que leur contraire n’est pas concevable ; mais il ne doit pas s’attendre à trouver la même règle de la nécessité logique appliquée dans la première proposition. La loi de toute connaissance logique dont il faudra reconnaître la justesse à chaque pas subsé-