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caractères généraux, assez difficiles à préciser d’ailleurs, des transformations linguistiques, religieuses, politiques, juridiques, industrielles, esthétiques, qui accompagnent le passage de l’imitation. — coutume à l’imitation — mode et vice versa. J’ai à faire remarquer à présent que la raison d’être de ces caractères nous est donnée par les considérations présentées aujourd’hui. En effet, nous savons que la logique individuelle et la logique sociale, la téléologie individuelle et la téléologie sociale, font deux, et poursuivent leur œuvre séparément. Elles la poursuivent, en outre, avec une ardeur très inégale, tantôt l’une tantôt l’autre prenant l’avance. N’oublions pas d’abord leur distinction. Voici cent philosophes ensemble : chacun d’eux a son système dont toutes les parties sont fort bien liées ; en chacun d’eux la logique individuelle a atteint sa perfection. Mais, qu’ils essaient de se parler, leur contradiction éclatera et rendra leur rapport absolument anti-social. Au contraire, prenez cent barbares d’une même tribu : sur tous les points, ils sont d’accord, professant les mêmes dogmes ; mais ces dogmes, en chacun d’eux, se contredisent, fouillis de notions coagulées on ne sait pourquoi, sans que personne s’aperçoive de leur nature inconciliable. Ici, c’est l’inverse : la logique sociale est parfaite, la logique individuelle embryonnaire. De même, réunissez cent brigands de génie : chacun d’eux a son plan admirablement combiné, c’est le chef-d’œuvre de la téléologie individuelle ; mais tous ces plans se contrarient entre eux et s’excluent réciproquement : la téléologie sociale est nulle. Inversement, je regarde, dans un pays quelconque, pourvu qu’il soit paisible et laborieux, cent honnêtes gens de l’espèce moyenne et conformiste ils n’ont jamais ni querelles ni procès, ils échangent en paix leurs produits, ils respectent leurs droits réciproques ; l’accord social de leurs conduites est au comble. Mais chacune de leurs conduites est un tissu d’inconséquences : par exemple, ils aspirent à la fois, sans s’apercevoir de cette absurdité, au salut chrétien par l’aumône et à la richesse par des spéculations cupides que la morale évangélique proscrit. — Pour que le progrès humain se déploie, il faut donc que la logique et la téléologie individuelles ne chôment pas pendant que la logique et la téléologie sociales opèrent. Aussi les voit-on collaborer, mais avec une énergie variable et intermittente.

Les âges de logique ou de téléologie individuelle dominante, c’est-à-dire de libre examen, sont caractérisés par le développement de la critique et de l’invention. Ils correspondent, on le remarquera, aux âges de mode dominante. Voilà pourquoi chaque éruption de mode est suivie d’une empreinte plus rationnelle, plus personnelle, plus logique (au sens habituel, individuel, du mot) laissée aux langues, aux