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HERBERT SPENCER.la morale de kant

En un mot, comme on l’a déjà fait comprendre, si Kant n’avait pas eu la bizarrerie, tout en admettant que les corps célestes sont sortis d’une évolution, de croire que l’esprit des êtres vivant à leur surface, tout au moins à la surface de l’un d’eux, a son origine en dehors de l’évolution, il aurait échappé aux impossibilités de sa métaphysique et aux invraisemblances de sa morale. Passons maintenant à l’examen de cette dernière.

IV

Avant de le faire, cependant, quelques mots sont nécessaires sur le raisonnement normal comparé au raisonnement anormal.

La partie de nos connaissances qui est de l’ordre le plus élevé au point de vue de la certitude, et que nous appelons « les sciences exactes », se distingue du reste de la science par la possibilité d’évaluer d’une manière précise ses prévisions[1]. Elles partent d’un certain nombre de données et parcourent une série de degrés qui, pris ensemble, leur permettent de dire sous quelles conditions déterminées une relation déterminée d’un phénomène pourra être trouvée, et de dire à quel endroit, ou à quel moment, ou dans quelle mesure, ou tout cela à la fois, un certain effet apparaîtra. Étant donnés les facteurs d’une opération arithmétique, le résultat obtenu est absolument certain, supposé qu’il n’y ait aucune erreur : erreur qu’il est toujours possible de découvrir et de déterminer par la méthode suivie ; nous allons voir laquelle. Si la base et les angles ont été soigneusement mesurés, la géométrie donne avec certitude la distance ou la hauteur de l’objet dont la position est cherchée. Le rapport des bras d’un levier une fois établi, la mécanique nous apprend quel poids il faut ajouter à une extrémité pour faire équilibre à un poids donné placé à l’autre extrémité. Et à l’aide de ces trois sciences exactes : l’arithmétique, la géométrie et la mécanique, l’astronomie peut prédire à une minute près, pour chaque lieu particulier de la terre, le moment précis où commencera et finira une éclipse, et jusqu’à quel point elle sera partielle ou totale. Ces sortes de connaissances ont dans la pratique un nombre infini de vérifications par le nombre d’actes infini dont leur application assure la réussite. Les comptes d’un commerçant, les opérations d’un boutiquier, la conduite d’un navire doivent, pour mériter la confiance, s’appuyer sur ces sciences. C’est pourquoi leur méthode, vérifiée par des applications qu’aucune puissance humaine ne parviendrait à énumérer, est une méthode qui ne peut être surpassée en certitude.

  1. Voy. l’essai, Genesis of Science.