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G. TARDE.la dialectique sociale

et aussi bien la rivalité entre les divers grades de l’armée, entre les diverses classes de la nation, sont provoquées par cet accord imparfait. Ce sont là des problèmes téléologiques soulevés par les progrès mêmes de l’organisation industrielle ou militaire, de même que le progrès des sciences pose des problèmes logiques, révèle des antinomies rationnelles, solubles ou insolubles, que l’ignorance antérieure dissimulait. Le système féodal d’une part, d’autre part la hiérarchie ecclésiastique avaient puissamment pacifié les passions et solidarisé les intérêts au moyen âge. Mais le grand et sanglant conflit entre le Sacerdoce et l’Empire, entre les Guelfes, partisans du pape, et les Gibelins, partisans de l’Empereur (duel logique au début, devenu plus tard duel téléologique, c’est-à-dire politique), est né du choc de ces deux harmonies non harmonisables entre elles sans la mise hors combat de l’un des deux adversaires. — La question est de savoir si ces déplacements de contradictions et de contrariétés ont été avantageux, et si l’on peut espérer que l’harmonie des intérêts ou des esprits soit jamais complète, sans compensation de dissonance ; si, en d’autres termes, une certaine somme de mensonge ou d’erreur, de duperie ou de sacrifice, ne sera pas toujours nécessaire pour maintenir la paix sociale.

Quand le déplacement des contradictions et des contrariétés consiste à les centraliser, il y a assurément avantage. Si cruelles que soient les guerres provoquées par l’organisation des armées permanentes, cela vaut mieux encore que les innombrables combats des petites milices féodales ou des familles primitives ; si profonds que soient les mystères révélés par le progrès des sciences, si grand que soit l’abîme creusé entre les écoles philosophiques par les questions nouvelles où elles se combattent par des arguments puisés au même arsenal scientifique, il n’est pas permis de regretter les temps d’ignorance où ces problèmes ne se posaient pas. La science, en somme, a plus satisfait de curiosité poignante qu’elle n’en a suscité, la civilisation a plus satisfait de besoins qu’elle n’a fait naître de passions. Les inventions et les découvertes sont des cures par la méthode substitutive. Les inventions, en calmant les besoins naturels et faisant surgir des besoins de luxe, substituent à des désirs très puissants des désirs moins puissants. Les découvertes remplacent les premières, ignorances, très anxieuses, par des inconnues peut-être aussi nombreuses, mais à coup sûr moins inquiétantes. — Puis, ne voyons-nous pas le terme où cette transformation protéiforme de la contra-

    rations), on trouve des syndicats d’ouvriers organisés ». Les compagnonnages alors, à Paris, à Lyon et ailleurs, fournissent aux imprimeurs, aux boulangers, aux chapeliers, des ressources pour résister aux maîtres ».