Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/168

Cette page n’a pas encore été corrigée
158
revue philosophique

l’universelle évolution. — Enfin, quand une invention nouvelle, microbe invisible au début, plus tard maladie mortelle, apporte à une invention ancienne, à laquelle elle s’attache, un germe de destruction, comment peut-on dire que l’ancienne a évolué ? Est-ce que l’Empire romain a évolué le jour où la doctrine du Christ a inoculé le virus de négations radicales opposées à ses principes fondamentaux ? Non, il y a dans ce cas contre-évolution, révolution si l’on veut, nullement évolution. — Au fond, sans nul doute, il n’y a ici, comme précédemment, que des évolutions, élémentairement, puisqu’il n’y a que des imitations ; mais, puisque ces évolutions, ces imitations, se combattent, c’est une grande erreur de considérer le tout, formé de ces éléments en conflit, comme une seule évolution. Je tenais à faire cette remarque en passant.

— Autre remarque plus importante. Quel que soit le procédé employé pour supprimer le conflit des croyances ou des intérêts et pour établir leur accord, il arrive presque toujours (n’arrive-t-il pas toujours ?) que l’harmonie ainsi produite a créé un antagonisme d’un genre nouveau. Aux contradictions, aux contrariétés de détail, on a substitué une contradiction, une contrariété de masse, qui va chercher, elle aussi, à se résoudre, sauf à engendrer des oppositions plus hautes, et ainsi de suite jusqu’à la solution finale. Au lieu de se disputer les uns aux autres le gibier, les têtes de bétail, les objets utiles, un million d’hommes s’organisent militairement et collaborent pour l’asservissement du peuple voisin. En cela leurs activités, leurs désirs de gain, trouvent leur point de ralliement. Et, de fait, avant le commerce et l’échange, le militarisme a dû être longtemps le seul dénouement logique du problème posé par la concurrence des intérêts. Mais le militarisme engendre la guerre, la guerre de deux peuples substituée à des millions de luttes privées. — De même, au lieu d’agir chacun de leur côté, de s’entraver ou de se combattre, une centaine d’hommes se mettent à travailler en commun dans une usine : leurs actions cessent d’être contraires, mais une contrariété inattendue naît de là, à savoir la rivalité de cette usine avec telle ou telle autre qui fabrique les mêmes produits. Ce n’est pas tout, les ouvriers de chaque fabrique sont intéressés ensemble à sa prospérité, et, en tout cas, leurs désirs de production, grâce à la division du travail organisé, convergent vers le même but ; les soldats de chaque armée ont un intérêt commun, la victoire. Mais en même temps la lutte entre ce qu’on appelle le capital et ce qu’on appelle le travail, c’est-à-dire entre l’ensemble des patrons et l’ensemble des ouvriers[1],

  1. Cela est tellement vrai que, dès le xvie siècle (Voy. Louis Guibert, les Anciennes Corporations en Limouzin, etc.), « en face des syndicats de patrons (des corpo-