Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/163

Cette page n’a pas encore été corrigée
153
G. TARDE.la dialectique sociale

partis, en une oppression de l’étranger vaincu et tributaire ou en une oppression de l’adversaire intérieur battu et accablé d’impôts. Eh bien, il est remarquable que, dans ces deux subdivisions à la fois, le côté administratif se déploie et se perfectionne incessamment, au fur et à mesure que les fonctions se multiplient, tandis que l’art de la guerre et l’art de la politique se réduisent toujours à quelques plans simples et justes, à quelques desseins pratiques et opportuns, inspirations du génie, qui, en se suivant, se remplacent au lieu de s’ajouter. Mais c’est seulement après avoir été saisies et mises en œuvre par ce plan ou ce dessein, que les fonctions soit civiles soit militaires deviennent convergentes au lieu de se borner à n’être pas trop divergentes, et forment un véritable État ou une véritable armée au lieu de former une fédération barbare ou une horde.

Quant à la partie laborieuse, industrielle, de l’activité nationale dirigée, elle comporte les mêmes remarques, mais sous le bénéfice de certaines observations. L’industrie ne saurait être que par abstraction, avons-nous dit, isolée de la morale et de l’esthétique dominante à chaque époque. Si on l’y rattache, comme il convient, on s’aperçoit que, parmi les inventions ou les idées nouvelles relatives au travail, les unes, mais non les autres, sont susceptibles, ainsi qu’on l’a tant répété, de progrès indéfinis, c’est-à-dire d’une accumulation presque sans fin. L’outillage industriel, en effet, ne cesse de s’accroître ; mais les fins au service desquelles se met, au bout d’un temps, cet ensemble de moyens, ne se suivent qu’en s’éliminant l’une l’autre. À première vue, et à prendre en bloc les moyens et les fins sans les distinguer, il semble que les industries des diverses époques se soient remplacées entièrement. Rien ne ressemble moins à l’industrie grecque ou romaine que l’industrie assyrienne, à l’industrie de notre xviie siècle que celle du moyen âge, et à notre grande industrie contemporaine que la petite industrie de nos aïeux. Effectivement, chacun de ces grands faisceaux d’actions humaines a pour lien et pour âme quelque grand besoin dominant qui change en entier d’un âge à l’autre : besoin de préparer sa vie posthume, besoin de flatter ses dieux, d’embellir et d’honorer sa cité, besoin d’exprimer sa foi religieuse ou son orgueil monarchique, besoin de nivellement social. Et le changement de ce but supérieur nous explique la succession de ces œuvres saillantes où toute une époque se résume : le tombeau en Égypte, le temple en Grèce, le cirque ou l’arc de triomphe à Rome, la cathédrale au moyen âge, le palais au xviie siècle, les gares ou plutôt les constructions urbaines aujourd’hui. Mais, à vrai dire, ce qui a disparu de la sorte sans retour, ce sont les civilisations plutôt que les industries passées, si l’on doit