Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/160

Cette page n’a pas encore été corrigée
150
revue philosophique

de nouveaux mots, répondant à des idées nouvellement apparues ; mais si rien n’empêche le grossissement de son dictionnaire, les accroissements de sa grammaire ne sauraient aller bien loin, et, au delà d’un petit nombre de règles et de formes grammaticales pénétrées d’un même esprit, répondant plus ou moins bien à tous les besoins du langage, aucune règle, aucune forme nouvelle ne peut surgir qui n’entre en lutte avec d’autres et ne tende à refondre l’idiome sur un plan différent. Si, dans une langue qui possède la déclinaison, l’article se glisse, il faudra presque toujours (le grec, avec son exubérance essentielle, fait exception) que l’article élimine à la longue la déclinaison ou que la déclinaison repousse l’article. — Or, remarquons-le, après que la grammaire d’une langue est fixée, son vocabulaire ne cesse pas de s’enrichir ; au contraire, il s’augmente plus vite encore ; et, en outre, à partir de cette fixation, chaque terme importé, non seulement ne contredit pas les autres, mais encore confirme indirectement, en revêtant à son tour la même livrée grammaticale, les propositions implicites contenues en eux. Par exemple, chaque mot nouveau qui entrait en latin avec la terminaison us ou a et en se déclinant, semblait répéter et confirmer ce que disaient tous les autres mots terminés et déclinés de même, à savoir ces propositions générales : « us et a sont des signes de latinité ; i, o, um, æ, œ, am, sont les signes du génitif, du datif, de l’accusatif, etc. »

Les religions, comme les langues, peuvent être envisagées sous deux aspects. Elles ont une partie narrative et légendaire, leur dictionnaire à elles, par laquelle elles débutent ; et elles ont aussi leur partie dogmatique et rituelle, sorte de grammaire religieuse. La première, composée de récits bibliques ou mythologiques, d’histoires de dieux, de demi-dieux, de héros et de saints, peut se développer sans fin ; mais la seconde ne comporte pas une extension pareille : un moment vient où, tous les problèmes capitaux qui tourmentent la conscience ayant reçu leur solution telle quelle dans une religion, au point de vue de son principe propre, aucun dogme nouveau ne peut s’y introduire sans contredire en partie les précédents ; et où, pareillement, un rite nouveau, en tant qu’expressif de dogmes, ne peut y être importé sans entrave quand tous les dogmes ont déjà leur expression rituelle. — Or, après que le credo et le rituel d’une religion sont arrêtés, son martyrologe, son hagiographie, son histoire ecclésiastique, ne laissent pas d’aller s’enrichissant, et même plus rapidement que jamais ; de plus, par le caractère conformiste, orthodoxe, de tous leurs actes, de toutes leurs pensées, de leurs miracles mêmes, les saints, les martyrs, les fidèles de cette