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différent à sa philosophie. Examinons quelles auraient été ces modifications possibles dans deux de ses conceptions capitales, la métaphysique et l’éthique.

III

Notre conscience du temps et de l’espace lui semblait, comme à tout le monde, parfaitement simple ; et cette simplicité apparente, il l’admettait comme une simplicité réelle. S’il s’était douté que la conscience du son, homogène en apparence et indécomposable, consiste en réalité en une multiplicité d’états de conscience et qu’il pourrait bien en être de même de la conscience homogène et en apparence indécomposable de l’espace, — il aurait peut-être été amené à rechercher si la conscience de l’espace n’est pas composée en totalité de rapports de position en nombre infini, analogues à ceux que présente chacune de ses parties. Et, découvrant que chaque portion d’espace, très grande ou très petite, ne peut être connue ou conçue que comme une série de positions relatives au sujet conscient, — et que, impliquant les rapports de distance et de direction, elle enferme de plus invariablement les rapports de droite et de gauche, de haut et de bas, de proche et d’éloigné, — il en aurait peut-être tiré cette conclusion que notre conscience de ce réceptacle des phénomènes que nous appelons espace est sortie par évolution d’une accumulation d’expériences enregistrées dans le système nerveux. Et cette conclusion tirée l’aurait préservé des absurdités sans nombre que sa doctrine recouvre[1].

Semblablement, si, au lieu d’admettre que la conscience est simple parce qu’elle semble telle à une observation intérieure superficielle, il avait accueilli l’hypothèse qu’elle est peut-être complexe — le produit capitalisé d’innombrables expériences accumulées par les ancêtres, et s’ajoutant d’elles-mêmes l’une à l’autre, — peut-être serait-il arrivé à un système de morale ayant de la cohésion. Ce fait que l’habitude d’associer de la douleur à certaines choses et à certains actes, de génération en génération, peut produire une tendance organique à s’écarter de ces choses et de ces actes[2], pouvait, s’il l’avait connu, lui faire soupçonner que la conscience est un produit d’évolution. Et dans ce cas, sa conception de la conscience ne se serait pas trouvée en désaccord avec les faits cités plus haut, qui montrent les profondes différences des degrés de la conscience suivant la différence des races.

  1. Voy. les Principes de Psychologie, §  399.
  2. Voy. les Principes de Psychologie, §  189 (note) et §  520.