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G. TARDE.la dialectique sociale

et il leur était aisé de ne pas se combattre entre elles. Enfin, les plus anciennes organisations politiques ont dû croître jusqu’à un certain point sans lutte interne, par voie de développement non contrarié, soit militairement, soit industriellement. La première forme quelconque de gouvernement a été une réponse au besoin de sécurité qui n’avait jusque-là reçu aucune satisfaction, et cette circonstance a été favorable à son établissement. Quand l’art de la guerre venait de prendre naissance, toute arme nouvelle, tout exercice nouveau, toute nouvelle tactique pouvait s’ajouter aux précédents ; de nos jours, il est bien rare qu’un nouvel engin meurtrier ou un nouveau règlement militaire n’en rende pas quelque autre inutile, et ne se heurte pas quelque temps à cet obstacle. Quand l’industrie naissait, sous sa forme pastorale et agricole, chaque nouvelle plante cultivée, chaque nouvel animal apprivoisé s’ajoutait aux faibles ressources déjà acquises du potager et de l’étable, du champ et de la grange, au lieu de se substituer, comme de nos jours, à d’autres plantes, à d’autres animaux domestiques à peu près équivalents. Et pareillement alors chaque observation nouvelle, astronomique ou physique, éclairant un point jusque-là obscur de l’esprit humain, prenait place sans entraves à côté des observations antérieures qu’elle ne contredisait guère. Il s’agissait de défricher des terres vagues et incultes, non de mieux cultiver des terres déjà travaillées et possédées par d’autres.

Mais, remarquons-le, l’accumulation qui précède la substitution par duels logiques, ne doit pas être confondue avec l’accumulation qui la suit. La première consiste en une agrégation lâche d’éléments dont le lien principal consiste à ne pas se contredire ; la seconde, en un faisceau vigoureux d’éléments qui, non seulement ne se contredisent pas, mais le plus souvent se confirment. Et cela devait être, en vertu du besoin toujours croissant de foi massive et forte. — Nous avons déjà pu voir ci-dessus la vérité de cette remarque ; elle nous apparaîtra bien mieux tout à l’heure. En toute matière, nous allons le montrer, il y a à distinguer les inventions ou les découvertes susceptibles de s’accumuler indéfiniment (quoiqu’elles puissent aussi être substituées), et celles qui, passé une certaine limite d’accumulation, ne peuvent qu’être remplacées si le progrès continue. Or, le triage des unes et des autres s’opère assez naturellement au cours du progrès ; les premières viennent avant les secondes, et se poursuivent encore après l’épuisement de celles-ci ; mais, après, elles se présentent avec un caractère systématique qui, avant, leur faisait défaut.

Une langue peut s’accroître d’une manière illimitée par l’addition