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REGNAUD.évolution logique du nom

pas en général dans l’analyse logique des noms communs accompagnés d’adjectifs. Les mots qu’on a l’habitude d’appeler exclusivement noms propres, sont ceux qu’on affecte aux choses ou aux êtres individuels, en convenant ou en supposant convenu que l’attribut spécifique joint au nom de genre y restera attaché d’une manière permanente pour désigner telle personne, tel animal ou tel objet, quand même cet attribut n’aurait qu’une valeur toute relative et temporaire, comme dans Autriche (Œsterreich), « l’empire oriental » (eu égard à tel autre) ou Angleterre, « la terre des Angles » (à une certaine époque seulement).

Les noms propres permanents ou exclusifs sont le plus souvent des termes géographiques ou des noms d’hommes, et, en général, on ne garde en eux que l’attribut, en sous-entendant le nom de genre qualifié par cet attribut. Exemples : le Fier, la Furieuse, noms de torrents pour le courant fier, c’est-à-dire rapide, la rivière furieuse ; Leroux, Leblond, Legros, Fabre (lat. faber, c’est-à-dire artisan, etc.), sous-entendu l’homme.

J’ajouterai, en ce qui regarde les noms propres occasionnels, qu’ils peuvent comprendre plusieurs parties attributives qui contribuent toutes à spécifier le terme générique auquel elles se rapportent. Exemple : « Le roi de Macédoine qui vainquit les Athéniens et fut père d’Alexandre = Philippe. » À ce point de vue on peut dire que le développement du discours a pour effet et raison d’être de distinguer par des appellations spécifiques et naturellement complexes les objets individuels dont on veut donner la connaissance aux autres.

Remarquons enfin que les noms propres sont nécessairement postérieurs aux adjectifs et aux noms communs, puisqu’ils présentent ou supposent toujours une combinaison de ces deux parties du discours ; c’est une raison de fait des plus probantes à ajouter aux preuves logiques de l’antériorité des idées de genre eu égard aux idées des choses individuelles.

Ce qui précède a pour principal objet d’établir que l’examen logique des rapports existant entre les différentes espèces de noms composant nos idiomes, achève de démontrer un fait qui ressort déjà clairement de l’étude des formations et des dérivations grammaticales de ces mêmes noms, à savoir que le langage est le résultat d’un développement coordonné de la forme, de la signification et de la fonction des vocables. Ici, comme dans tout ce que la nature produit directement ou par l’intermédiaire de l’intelligence humaine, la diversité s’est dégagée petit à petit de la simplicité, au moins apparente, qui l’impliquait à l’origine.

Paul Regnaud.