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Pour le moment, nous n’avons pas à nous en occuper ; il y a dans l’esprit des mémoires, des intelligences, des activités ; que ces mémoires, que ces activités s’harmonisent ou se combattent, qu’elles se ressemblent ou qu’elles diffèrent, nous n’en avons pas moins une loi importante du fonctionnement de l’esprit. De même que dans une société les hommes en travaillant chacun pour soi peuvent arriver à l’harmonie ou à l’anarchie, de même les éléments psychiques, en se souvenant, en comprenant, en réfléchissant chacun pour soi peuvent aboutir à la personnalité une, comprenant, sentant et voulant, ou à tous les désordres, à tous les caprices, à toutes les dépravations. La loi ne donne donc pas jusqu’ici l’explication de toutes les formes les plus élevées de l’esprit en tant précisément qu’elles sont supérieures, ce sont ces formes supérieures qui nous restent à étudier, mais nous voyons qu’elles sortiront de la même propriété des éléments nerveux et psychiques, dans les circonstances particulières où ces tendances de chaque élément à l’harmonie et à la finalité pourraient être pleinement satisfaites.

De tous les faits que nous avons cités, des synthèses partielles que nous en avons faites, il résulte donc ce fait général que sur une unité organique sans laquelle la vie serait impossible, peuvent coexister un grand nombre de systèmes psychiques qui atteignent un degré assez marqué d’incohérence et d’indépendance, chacun existant en soi et pour soi, et travaillant pour soi. Évidemment cette indépendance ne peut être complète, pour deux raisons capitales : la première est une cause efficiente, c’est l’unité de l’organisme qui est le rapport et dans une certaine mesure la cause des phénomènes nervoso-psychiques, la seconde est une cause finale au sens positif du mot, c’est l’impossibilité pour un organisme de subsister si l’indépendance et l’incohérence des actes devient trop grande. Mais il reste encore assez de marge pour que les faits se chargent de montrer à la fois que la systématisation est la loi la plus générale de l’esprit et que ce caractère de finalité appartient aux éléments psychiques qui peuvent d’ailleurs être plus ou moins compliqués et composés — dans un cas idéal qui marquerait la perfection de la personne humaine, cette personne ne formerait qu’un seul élément, décomposable seulement d’une manière théorique, mais où l’existence isolée et l’incohérence des éléments secondaires ne pourraient se montrer. La tendance vers cet état, l’activité organisatrice de l’esprit, les formes complexes de la loi de systématisation doivent être étudiées à part.

Fr. Paulhan.