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HERBERT SPENCER.la morale de kant

plusieurs tissus ; plus profondément, que chaque cellule renferme un certain nombre de grains d’amidon ; plus profondément encore, que chacun de ces grains est formé de coucher superposées comme les pelures d’un oignon. En sorte que là où il semble y avoir une simplicité parfaite, il y a au contraire accumulation de complexités.

Après tous ces exemples que fournit le monde objectif, tournons-nous vers le monde subjectif, et prenons quelques exemples dans nos états de conscience. Jusqu’aux temps modernes, tous ceux à qui on aurait dit, lorsqu’ils jetaient les yeux sur de la neige, que l’impression de blancheur qu’elle leur donnait était composée d’impressions semblables à celles que donne un arc-en-ciel, auraient considéré comme un fou celui qui tenait de pareils propos ; et encore aujourd’hui la plus grande partie du genre humain ferait de même. Mais depuis Newton il a été reconnu par une élite assez peu nombreuse que le fait est rigoureusement exact. Non seulement la lumière blanche peut être décomposée par le prisme en un certain nombre de brillantes couleurs, mais, au moyen de dispositions appropriées, ces couleurs peuvent être recombinées en lumière blanche. Ceux qui ont coutume de supposer que les choses sont ce qu’elles paraissent, ont tort ici comme en une foule d’autres cas.

Un autre exemple est fourni par la sensation de son. Une note isolée frappée sur le piano, ou bien un son tiré d’une trompette, produit à l’oreille une sensation qui paraît homogène ; et les ignorants sont incrédules lorsqu’on leur apprend que c’est une inextricable combinaison de bruits. — En premier lieu, ce qui constitue la plus grande partie d’un son musical est accompagné par une série d’harmoniques produisant ce qu’on appelle son timbre : au lieu d’une note, il y a une demi-douzaine de notes dont la principale a son caractère spécialisé par les autres. En second lieu, chacune de ces notes, consistant objectivement en une rapide série d’ondulations aériennes, produit subjectivement une rapide série d’impressions sur le nerf auditif. La machine de Savart ou la Sirène prouvent jusqu’à l’évidence que chaque son musical est le produit d’unités successives de sons qui, pris à part, n’ont aucune qualité musicale, mais qui, parce qu’ils se succèdent avec une rapidité croissante, produisent une note dont l’élévation croît progressivement. Donc, ici encore, l’apparente simplicité recouvre une double complexité.

La plupart de ces illusions de la perception livrée à elle-même et ayant rapport soit à l’existence objective, soit à l’existence subjective, étaient inconnues à Kant. S’ils lui avaient été connus, ces exemples auraient pu lui suggérer d’autres aperçus sur certains de nos états de conscience, et auraient peut-être donné un caractère