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tantôt tenace, tantôt faible. C’est que le degré d’organisation des systèmes n’est pas le même, ni leur degré de sensibilité. Tel homme restera inflexible sur certains points et vis-à-vis de certaines personnes, qui cédera facilement sur d’autres points ou vis-à-vis de certaines autres personnes.

Dire que chaque système a son activité, c’est dire que chaque système a sa moralité, la moralité n’étant qu’une systématisation parfaite des actes. Je connaissais une personne qui était à la fois zélée pour la religion et pour les devoirs de son état ; sa religion lui interdisait de travailler le dimanche, son état le lui commandait quelquefois, et généralement ce n’était pas la religion qui l’emportait. Je lui avais fait remarquer le fait, sans avoir naturellement de réponse bien satisfaisante. On voit bien ici comment chaque système a sa moralité propre, et cela se voit encore en bien d’autres cas. Les conflits de devoirs sont bien connus, ils répondent précisément à ces conflits de systèmes psychiques qui ont chacun leur moralité propre et une moralité qui ne peut se réaliser sans nuire à la moralité du voisin. Toute la casuistique, c’est-à-dire une bonne partie de la morale, a pour matière ces conflits de système. Un livre récent de M. Brouardel[1] montre quelques cas fort intéressants, les cas où le devoir de l’homme et le devoir du médecin sont en conflit direct. Il n’est pas toujours aisé de dire lequel des deux doit l’emporter et où se trouve la vraie moralité. M. Brouardel même, qui penche pour faire triompher partout et toujours le devoir du médecin, ne peut s’empêcher de trouver parfois des expédients ingénieux pour donner satisfaction au devoir de l’homme. Je reviendrais peut-être un jour dans une monographie sur cette question du conflit des devoirs ; je me borne aujourd’hui à la rappeler et la signaler en faisant remarquer qu’elle est une conséquence naturelle de notre conception générale de l’homme.

Il y a ainsi des mémoires, des intelligences, des raisonnements, des volontés, des moralités : c’est que chaque faculté tient aux autres, un système psychique est un tout complet, et selon que nous considérons son activité à un point de vue ou à un autre, nous l’appellerons mémoire, intelligence ou volonté ; en fait, ces diverses facultés ne sont guère que divers points de vue d’un même fait, la finalité psychique. Elles ne se confondent pas toutefois, elles marquent les rapports différents d’un système avec différents groupes de phénomènes. Ce qui est de la mémoire, si on le considère par rapport à un état semblable qui s’est produit auparavant, est de l’intelligence au sens

  1. Brouardel, le Secret médical.