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PAULHAN.finalité des éléments psychiques

tout système psychique tend à se compléter par des volitions et des phénomènes moteurs[1], que chaque système a sa volonté. « L’homme le plus vertueux, dit M. Renan[2], ne peut empêcher que, dans les profondeurs de son organisation, des millions de créatures rudimentaires ne crient : « Nous voulons être. » Ces petits êtres ne sont pas moraux, ils n’ont pas lu Malthus, ils n’aspirent qu’à exister pleinement. » L’observation est juste et Schopenhauer l’avait faite en d’autres termes, il faut seulement la généraliser. Chaque organe représente une volonté, un désir ; le cœur veut battre, les poumons veulent respirer, les pieds veulent marcher, les intestins veulent digérer, la preuve en est que le cœur bat séparé de la poitrine, que les intestins d’un animal éventré continuent leurs mouvements péristaltiques : c’est que nos organes sont reliés à des systèmes d’éléments nerveux qui fonctionnent harmoniquement, les ganglions du cœur, le centre respiratoire de la moelle allongée, les organes coordinateurs des mouvements dans la moelle allongée, le mésocéphale, le cervelet, mais il existe des systèmes d’éléments nerveux et psychiques semblables qui ne se rattachent à aucun organe en particulier, mais qui n’existent pas moins pour eux-mêmes, sentant, jouissant, souffrant, voulant chacun pour soi. Nous assistons continuellement à une action harmonique et aussi à des conflits de ces systèmes. Une certaine coordination d’éléments psychiques nous pousse à rechercher les honneurs, une autre à chercher le profit, une autre nous mène à la recherche désintéressée de la vérité, d’autres nous poussent au jeu, à des distractions diverses, d’autres encore à telle ou telle occupation, et plusieurs de ces systèmes existent à la fois chez le même individu. Les faits de ce genre, les conflits de ce que nous appelons nos désirs, nos tendances et qui sont l’expression de l’activité séparée et souvent mal coordonnée des systèmes psychiques qui sont liés physiquement à un même organisme, sont tellement fréquents que je n’ai pas besoin d’y insister. Ils sont connus de tous ; on les trouve partout, dans les livres et dans la vie, il me semble bien qu’il n’y a pas de meilleure manière de ces interpréter, ni de plus simple, ni de plus exacte que celle que j’expose.

Mais il y a encore d’autres moyens de constater la pluralité des volontés. C’est de voir combien le mode de vouloir change quelquefois, selon le système qui est en jeu, comment le même homme peut avoir sur différents points une volonté tantôt ferme, tantôt hésitante,

  1. Les Phénomènes affectifs et les lois de leur apparition, p. 21.
  2. Renan, Dialogues philosophiques.