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religion, Dieu, la vie future, etc., présentent souvent, non pas dans les catéchismes ou les cours d’instruction religieuse (où déjà elles sont passablement illogiques), mais chez les individus une incohérence remarquable. La même personne vous dira selon les moments : on n’a jamais vu revenir un mort, quand on est mort c’est pour longtemps, etc. ; d’un autre côté elle s’indignera contre ceux qui nous assimilent à des bêtes sans âme et sans immortalité. L’homme est manifestement considéré après sa mort à la fois comme pourrissant dans la terre et comme vivant dans le ciel, mais il ne s’agit pas ici bien souvent d’une séparation radicale entre le corps et l’âme ; on donne presque toujours un corps à l’âme, — il faut avoir l’imagination abstraite et l’esprit cultivé pour la concevoir ou s’imaginer qu’on la conçoit autrement, — et aussi une âme à ce corps, le séjour sous la terre épouvante un peu, il semble que réellement quand on sera en elle, on en sentira le poids. Il n’est pas difficile de voir dans ce fait la coexistence de deux systèmes d’idées, issus d’expériences différentes d’abord et ensuite d’expériences et d’enseignements divers, systèmes qui coexistent dans l’esprit sans s’unifier et qui se composent chacun d’idées et aussi de raisonnements, car chaque système aboutit de temps en temps à des imaginations nouvelles, à des actes, à des exclamations. Ici encore chaque système est intelligent, pris en soi ; leur somme, l’individu considéré comme un tout, ne l’est pas au même degré. La religion et les théories sur la vie future anciennes et nouvelles donnent une bonne collection de faits de ce genre. Il faut les prendre surtout évidemment non chez les philosophes ou les théologiens qui ne sont pas cependant exempts de contradictions, mais chez les gens incultes ou chez les peuples plus rapprochés des origines[1], chez qui les systèmes divers entrent moins en rapport et où la contradiction est plus nette et moins masquée.

Comme il y a des mémoires, des sensibilités et des intelligences, il y a aussi des volontés. Chaque système se souvient, sent, pense et veut pour son compte, ce n’est que par leur harmonie et leurs combinaisons que l’individu pense et agit à son tour. On a souvent dit que toute idée était une tendance à un acte cette loi, qui peut-être gagnerait en exactitude et en précision à être quelque peu modifiée, est assez vraie pour que je fasse remarquer ici combien elle s’accorde avec tout ce que j’ai dit. Toute idée tend vers un acte ; il en est de même pour tout sentiment, c’est-à-dire en somme que

  1. Voir les ouvrages sur les civilisations inférieures et les civilisations primitives. Lubbock, Origines de la civilisation ; Tylor, la Civilisation primitive ; Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient ; Perrot, Histoire de l’Art, etc.