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PAULHAN.finalité des éléments psychiques

chez chaque individu par la mise en jeu d’un ou de plusieurs systèmes particuliers, à l’exclusion des autres.

La pluralité de l’intelligence n’est pas moins visible que celle des sentiments : il n’y a pas une intelligence, il y a des intelligences. L’intelligence ne doit pas être considérée comme une faculté ou un pouvoir psychique ou nerveux existant à part des phénomènes et les réglant ; elle fait partie des phénomènes, elle est unie à certains groupes de phénomènes, elle est la loi selon laquelle s’arrangent certains groupes de faits ; mais cette loi peut ne pas être la même pour tous les groupes de faits qui existent dans un cerveau. Chaque système psychique a sa manière de se coordonner, il comprend d’ailleurs un plus ou moins grand nombre d’éléments et selon que ces éléments seront plus ou moins nombreux et plus ou moins complexes eux-mêmes, selon qu’ils seront plus ou moins bien systématisés, nous verrons naître des intelligences particulières, variables d’un individu à l’autre pour le même système psychique, d’un système psychique à l’autre pour le même individu. Tout le monde, par exemple, n’est pas de la même force au whist ou au jeu de dames, et inversement une personne peut être très habile pour ces jeux et assez peu intelligente pour le reste. Les faits de ce genre sont d’une fréquence telle que chacun peut en observer ; certaines personnes sont des commerçants ou des industriels distingués et n’ont en dehors de là aucune aptitude remarquable. Il y a des hommes de science qui sont complètement fermés aux lettres, et des hommes de lettres qui ne comprennent rien aux sciences ; bien des personnes qui passent pour intelligentes et qui, en effet, le sont sur certains points, ont beaucoup de peine à suivre un raisonnement mathématique. L’inverse se présente aussi. Pour descendre des mathématiciens aux calculateurs, les petits calculateurs prodiges, Mangiamele, Mondeux, Inaudi, etc., ne paraissent pas avoir été remarquablement doués en dehors de leur intelligence spéciale, qui même dans ce domaine du calcul reste très spécialisée.

L’intelligence est, en somme, une manière particulière de coordination des éléments psychiques. Résoudre un problème, c’est trouver des résultats qui se combinent de manière à s’accorder avec certaines données ; gagner une partie d’échecs c’est combiner de telle manière les mouvements de ses pièces que l’échec et mat soit donné au roi adversaire ; guérir une maladie c’est combiner diverses influences de médicaments, de diète, de repos, d’exercices, etc., de manière à rétablir le bon fonctionnement de l’organisme. Il y a évidemment dans tout acte intelligent une coordination plus ou moins consciente d’images, de sensations et d’idées ; cette coordination se dis-