Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
131
PAULHAN.finalité des éléments psychiques

peuvent exister seules à un degré très développé. L’exemple des calculateurs prodiges est bien connu et très frappant. J’ai assisté dernièrement à une séance donnée par Inaudi. On lui donne sept opérations à la fois, une addition (quatre nombres de quatre chiffres), une soustraction (huit chiffres environ), une multiplication, une division, deux extractions de racine cubique et une extraction de racine carrée. Il a fait toutes ces opérations successivement sans regarder le tableau ; à la fin de la séance, il a pu énumérer toutes ces opérations (données et résultats), en commençant par la dernière, plus une multiplication de trois chiffres et une soustraction de vingt-sept chiffres qu’il avait faites précédemment, sans hésitation et presque sans erreur. Il m’a dit qu’il pourrait se rappeler encore ces chiffres pendant quelques jours, mais que, à part les chiffres, il n’avait pas une bonne mémoire.

La sensibilité est spécialisée comme la mémoire, j’entends ici par sensibilité l’excitabilité en général ; je veux dire, par conséquent, que chez le même individu certains systèmes sont plus facilement que d’autres mis en activité. Il n’est guère besoin, sans doute, d’appuyer sur cette considération ; chacun a bien remarqué combien certaines personnes discourent volontiers sur certains sujets, combien elles sont sensibles à tout ce qui peut se rapporter à un point spécial, combien elles sont irritées, chagrines, ou au contraires joyeuses et épanouies à chaque allusion qui peut réveiller le système particulièrement sensible. Il est très important de remarquer que ce système ne tient pas bien souvent une place considérable dans la constitution de la personnalité. Le contraire se produit évidemment aussi, mais cela a moins d’importance au point de vue des sensibilités spéciales. Mais c’est un fait bien connu qu’il y a « une manière de prendre les gens », c’est-à-dire d’appuyer sur tel ou tel ressort, de toucher « l’endroit sensible », soit en flattant une vanité particulière, ou une haine ou une idée fixe. Tel enfant est sensible aux caresses, tel autre à la raillerie, tel autre aux coups ; il y en a beaucoup, bien entendu, qui sont sensibles à plusieurs excitants à la fois. De même certains systèmes d’idées, comme les systèmes d’actes, sont éveillés plus facilement chez certaines personnes et cela varie d’une personne à l’autre. Tel récit laissera indifférente telle personne qui passe cependant pour sensible et frappera vivement une autre qui, d’une manière générale, est plus indifférente, si par des circonstances de constitution ou par suite d’événements particuliers, il peut réveiller chez la dernière un plus grand nombre d’éléments psychiques. Il paraît probable d’ailleurs que la sensibilité et la mémoire ont au moins quelques conditions organiques communes : c’est ce qui est relative-