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à leur maître. Tout autour d’eux traînent quantité de faits de différentes sortes qui devraient les faire hésiter, pour ne rien dire de plus. Voici quelques-uns de ces faits.

Quoique, à l’encontre des ignorants qui supposent que les choses sont ce qu’elles nous apparaissent, les chimistes aient, pendant plusieurs générations, reconnu que d’innombrables substances qui paraissent simples, sont en réalité composées, souvent même infiniment composées, cependant, jusqu’à sir Humphrey Davy, on avait pensé que certaines substances dont l’apparente simplicité défiait tous les agents de décomposition devaient être classées parmi les éléments. Pourtant Davy, en soumettant les alcalis à une force non encore employée, prouva que ce sont des oxydes métalliques, et soupçonnant que tel doit être le cas des oxydes terreux, il démontra semblablement leur nature composite. Non seulement le sens commun des ignorants, mais le sens commun des savants se trouvait avoir tort. Plus élargi, le savoir a conduit, comme il arrive toujours, à une modestie plus grande ; et, depuis Davy, les chimistes n’ont plus tenu pour aussi certain que les soi-disant éléments sont de véritables éléments. Bien au contraire, l’exemple de plusieurs espèces les entraîne de plus en plus par une évidence croissante à se demander si tous ne sont pas composés.

Pour le laboureur qui le retourne avec sa bêche, comme pour le charpentier qui s’en sert dans sa boutique, un morceau de craie paraît être tout ce qu’il y a de plus simple ; et quatre-vingt-dix-neuf personnes sur cent penseraient de même. Cependant un morceau de craie est extrêmement complexe. Le microscope fait voir qu’il se compose de myriades de coquillages, de foraminifères ; il montre de plus qu’il en contient plus d’une espèce ; puis, que chaque menu coquillage, entier ou brisé, est formé d’un grand nombre de loges dont chacune contenait autrefois un être vivant. Ainsi, par un examen ordinaire et pourtant minutieux, la vraie nature de la craie ne peut pas être connue ; et pour quelqu’un qui a une confiance absolue dans ses yeux, l’affirmation de cette vraie nature semblera absurde.

Prenez maintenant un corps vivant d’une espèce en apparence peu compliquée, soit une pomme de terre. Opérez une section, et remarquez combien sa substance a peu d’arrangement. Mais, malgré ce verdict de la vue livrée à elle-même, la vision accrue en prononce un bien différent. La vision agrandie découvre, en premier lieu, que la masse est partout pénétrée par des vaisseaux de formation complexe. Plus profondément, qu’elle est une collection d’innombrables unités appelées cellules, dont chacune a des parois composées de