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PAULHAN.finalité des éléments psychiques

acte. L’épilepsie est encore une névrose remarquable pour les faits qu’elle fournit dans cet ordre d’idées. Les maladies accomplissent parfois, dans l’état de petit mal, des actes dont ils n’ont aucun souvenir. Les faits de ce genre sont bien connus[1]. Tel est celui du magistrat qui, présidant une audience, quitte son siège, s’avance, parle d’une manière incohérente, retourne à sa place et reprend ses fonctions sans avoir souvenir de ce qu’il vient de faire. Les cas les plus intéressants pour nous sont ceux où le système interrompu rentre en activité manifestement au point même de la coordination où il avait été interrompu. Esquirol rapporte le cas d’une jeune dame, dont le père est épileptique, qui est prise de ses accès au milieu d’un cercle, à la promenade, à cheval ; « elle n’est point renversée, les yeux sont convulsifs, le regard est fixe ; l’accès ne dure que peu de seconde et la malade reprend la conversation, la phrase, où elle les a laissées sans se douter nullement de ce qui vient de lui arriver[2]. Griesinger rapporte, d’après Prichard, un fait analogue : il s’agit d’une dame qui « tout à coup, au milieu d’une conversation, s’arrêtait et se mettait à parler d’autre chose ; puis, au bout de quelques instants, elle reprenait la conversation à la phrase, et qui plus est, au mot même où elle s’était arrêtée, et n’avait pas le moins du monde conscience de l’interruption qu’elle avait faite[3] ».

Nous pouvons rappeler encore ici ce fait que les tendances persistent à l’état latent pendant des années entières sans se manifester, jusqu’à ce que les circonstances favorables au développement du système dont elles font partie se présentent, soit que le milieu est changé, soit que les tendances qui inhibaient celles-là aient disparu. Je reviendrai peut-être ailleurs sur les faits de ce genre au point de vue de la conception de l’esprit, et je me borne à indiquer ici ce qui peut mettre particulièrement en relief l’activité automatique indépendante de éléments psychiques. Je rappellerai, par exemple, les retours de langues oubliées depuis longtemps, de sentiments, ou peut-être plutôt de pratiques religieuses au moment de la mort, phénomènes très bien interprétés par M. Ribot[4]. Le retour d’une langue

  1. Voir les observations de Trousseau (Clinique médicale de l’Hôtel-Dieu), citées par M. Luys, Actions réflexes du cerveau, p. 139 ; voir aussi Littré, la Double conscience, in Fragments de philosophie positive et de sociologie contemporaine ; voir aussi Jackson, les Troubles intellectuels momentanés qui suivent les accès épileptiques. Revue Scientifique, 1876.
  2. Esquirol, Maladies mentales, t.  I, p. 277.
  3. Prichard, Annales médico-psychologiques, cité par Griesinger, Traité des maladies mentales, p. 129.
  4. Ribot, Maladies de la mémoire.