Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
revue philosophique

nous sommes à travailler, une personne nous dérange, nous oublions notre travail pour lui parler, et quand cette conversation est finie, si l’attention qu’elle a éveillée n’a pas été très forte, nous reprenons notre travail au point où nous l’avons laissé, et souvent alors nous perdons le souvenir de la conversation précédente pour reprendre, au contraire, les idées qui nous occupaient auparavant. Il arrive aussi souvent à l’état normal que la substitution des deux systèmes l’un à l’autre n’est pas absolue ; un système se manifeste encore quand l’autre est en jeu par une sorte de tendance sentie, des états de conscience faibles et vagues, qui, lorsqu’ils se fortifient un peu, c’est-à-dire quand les tendances enrayées ont une forte organisation et une activité impérieuse, donnent lieu à des sentiments d’impatience, d’irritation, auxquels on ne réfléchit pas toujours et dont on ne se rend pas toujours bien compte. Dans les cas semi-pathologiques ou pathologiques, ce phénomène s’exagère. Les rêves nous fournissent beaucoup de faits de ce genre ; les choses que nous avons vues en rêve, les actes que nous avons commis nous ne nous les rappelons plus en bien des cas : quelquefois ils nous reviennent pendant un rêve. Toutes les fois qu’il y a un changement, ce qu’on pourrait appeler l’orientation générale de l’esprit, fait très important et sur lequel j’aurais à insister ailleurs, il se produit une sorte de scission d’autant plus marquée en général que le changement est plus fort. On oublie facilement ce qu’on a fait pendant la nuit, si on s’est réveillé et levé, jusqu’à ce que quelque incident nous remette sur la voie. Lors du dernier tremblement de terre, je fus à demi réveillé par la secousse, assez faible d’ailleurs ; je pensai immédiatement à un tremblement de terre comme pouvant être la cause des oscillations qu’il me semblait éprouver, puis j’entendis du bruit, je pensai qu’on cassait du charbon au rez-de-chaussée, que peut-être cela m’avait fait croire à un ébranlement du sol ; mes idées se confondirent, je me rendormis et quand je me réveillai, j’avais tout à fait oublié l’événement : ce ne fut que vers une heure de l’après-midi, lorsque j’entendis parler par d’autres personnes du tremblement de terre, que je me rappelai ce qui m’était arrivé. Voilà donc encore un exemple de système isolé. Il faut citer en ce genre l’oubli qui suit souvent les phénomènes hypnotiques : l’hypnotisé ne sait pas ce qu’il a fait précédemment, souvent même le souvenir ne peut être réveillé par la vue des objets qu’il a maniés pendant l’état somnambulique, et comme l’a montré M. Delbœuf dans des expériences que nous aurons encore à citer plus loin, l’association systématique peut seule réveiller le souvenir, si l’on réveille par exemple le somnambule pendant qu’il est en train d’accomplir un