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PAULHAN.finalité des éléments psychiques

ordre fut le seul acte du délire qui révéla au fondeur la maladie du général. Plus tard cette arme a été adoptée. » Ainsi, au milieu de l’incohérence générale, un système important est maintenu, et a pu aboutir à sa fin. Il est à remarquer que le trait du délire qui révéla au fondeur la maladie de son client ne se révèle qu’après l’exécution du modèle, c’est-à-dire alors que le système, ayant abouti, devait tendre à disparaître. La finalité des éléments est ici évidente. Quelquefois dans des états de stupeur complète, d’anéantissement total, un seul système de mouvements coordonnés survit encore. Abercrombie raconte qu’un malade, « dans un état d’apoplexie complète dont il ne guérit jamais, ajustait fréquemment son bonnet de nuit avec le plus grand soin quand il prenait une mauvaise position, l’abaissant d’abord sur ses yeux et en arrangeant le devant de la façon la plus exacte. Une autre personne, dans un état de parfaite insensibilité provenant d’une maladie grave du cerveau, fut souvent vue, le jour même qui précéda sa mort, tirer d’un petit sac, à la tête de son lit, une montre à répétition, la mettre près de son oreille et la faire sonner l’heure et la replacer ensuite dans le sac avec la plus grande précision[1]. » Nous pouvons rapprocher de ces faits ceux où un système ou un ensemble de systèmes s’éveillent, interrompent les actes commencés qui reprennent quand le nouvel état disparaît à son tour. Il y aurait à reprendre les faits au point de vue de la loi d’arrêt, mais ils nous intéressent ici en ce qu’ils montrent bien l’action isolée d’un système d’états neuro-psychiques ; ils nous montrent admirablement cette force de coordination inhérente aux éléments psychiques qui, la systématisation ne pouvant s’effectuer immédiatement, attendent, pour ainsi dire, que l’état qui les empêche d’aboutir ait disparu pour reprendre la coordination interrompue, absolument comme une personne arrêtée dans une course par le passage d’un régiment, par exemple, attend que le régiment ait passé et reprend sa route dès qu’elle le peut, au point où elle en est restée. Il est difficile toutefois de dire jusqu’à quel point la comparaison est exacte. En effet, nous pouvons bien voir un individu sur un trottoir, mais nous ne savons pas comment se comportent des cellules cérébrales qui sont arrêtées dans leur travail ; la persistance d’une idée ou d’un souvenir à l’état latent n’offre aucun sens parfaitement précis ; on admet qu’il reste dans les éléments nerveux une trace, un résidu, mais ce n’est guère là qu’un mot pour désigner un phénomène inconnu : autant vaut garder le mot d’association latente. Nous rencontrons très souvent ce phénomène, d’abord dans la vie normale :

  1. Abercrombie, Inquiries on the intellectual powers, p. 111.