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mentale ; ils sont d’ailleurs bien connus et je n’ai pas besoin d’y insister[1].

Des faits qui se rattachent aux précédents et qui montrent comme eux l’indépendance possible des systèmes psychiques et le rôle primordial de l’association systématique, comparée aux principes de contiguïté et de ressemblance, sont ceux qui nous montrent un système psychique restant en activité au milieu d’une ruine totale de l’organisme psychique, ou bien encore des systèmes restés à l’état latent, dont ni la ressemblance ni l’activité ne peuvent réveiller les éléments et qui se réveillent d’emblée à un moment donné, selon la loi de l’association systématique.

On sait que chez les déments certaines facultés restent parfois intactes ; ils peuvent, par exemple, jouer aux cartes ou aux dames, bien que leur esprit soit généralement désorganisé. Chez les idiots on trouve des faits analogues. Griesinger a vu dans l’asile d’Earlswood, à Londres, un jeune homme qui avait fait tout seul un modèle remarquable d’un vaisseau de guerre ; cet individu avait un esprit très borné, en particulier il n’avait aucune idée des nombres. « Il est plus fréquent, ajoute l’auteur, de voir des individus plongés dans une idiotie profonde exécuter d’assez bons travaux de dessin ou de peinture ; naturellement ce n’est chez eux qu’un talent mécanique. M. Morel (Études cliniques, t.  III, p. 49) parle d’un idiot qui ne prononçait pas un mot et qui avait un talent remarquable sur le tambour ; son grand’père avait été tambour-major, et son père avait toujours eu le désir de se faire lui-même tambour… La mémoire des lieux qui est quelquefois très développée chez certains idiots, d’ailleurs à peu près nuls, se rapproche un peu de ces talents spéciaux[2]. » De même dans la folie on voit persister certaines facultés dans un état très florissant. Esquirol rapporte le cas d’un général atteint de manie, chez qui « le délire persiste tout l’été avec quelques intervalles de rémission, pendant lesquels le malade écrit des comédies et des vaudevilles qui révèlent l’incohérence de ses idées… ; malgré l’égarement de ses idées, le général conçoit le perfectionnement d’une arme et en trace le dessin, il témoigne le désir d’en faire exécuter un modèle. » Un jour il se rend chez le fondeur ; à sa rentrée il est repris par l’agitation et le délire. Huit jours après, seconde visite au fondeur, « le modèle est exécuté et l’ordre d’en faire cinquante mille est donné. Cet

  1. Voir Griesinger, Traité des maladies mentales ; Ball, Leçons sur les maladies mentales ; Azam, Hypnotisme, double conscience et altérations de la personnalité ; Ribot, les Maladies de la personnalité ; Richet, l’Homme et l’Intelligence ; Berjon, la Grande hystérie chez l’homme (observations de Bourru et Burot), etc.
  2. Griesinger, Traité des maladies mentales, trad. française, p. 432.