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PAULHAN.finalité des éléments psychiques

dépositions des camisards, qui ont formé le Théâtre sacré des Cévennes. Les camisards, quelques-uns au moins, prophétisaient, prêchaient dans des langues qu’ils connaissaient à peine ou qu’ils ne connaissaient pas dans leur état normal. Il paraît s’être produit chez eux de véritables dédoublements de la personnalité. « … Je les prie au nom de Dieu de se souvenir de ces choses terribles qui ont été prononcées contre ceux qui, après avoir été rendus participants du Saint-Esprit, rejettent autant qu’il est en eux le don céleste qu’ils avaient goûté. Et je leur déclare solennellement et sans équivoque, par cet acte public et sur le serment que je fais devant Dieu, que je ne suis point l’auteur des agitations que je souffre dans mes extases, que ce n’est point moi qui m’agite moi-même, mais que je suis mû par une force qui est au-dessus de moi. Et pour les paroles qui sont prononcées par mes organes, je déclare avec les mêmes protestations de vérité, qu’elles se forment sans dessein de ma part, et qu’elles découlent inopinément de ma bouche, sans que mon esprit participe à cette opération merveilleuse par aucune méditation précédente, ni par aucune volonté présente de parler sur-le-champ. » Durand Fage dit aussi : « Ma langue et mes lèvres furent subitement forcées de prononcer avec véhémence des paroles que je fus tout étonné d’entendre, n’ayant pensé à rien, et ne m’étant pas proposé de parler[1]. »

Ce n’est pas seulement dans ce que l’on pourrait appeler les dédoublements simultanés de la personnalité, mais aussi dans les dédoublements alternatifs, que l’on peut voir se manifester l’indépendance relative des systèmes psychiques. Ici encore nous voyons certains faits, certaines impressions devenir le point de départ d’une série systématique d’actes et d’idées en contradiction avec la série d’actes et d’idées qui avait précédé et avec celle qui suivra. Un homme vient de parler ou d’agir dans un sens, en lui suggérant telle ou telle idée, on le voit quelquefois parler et agir en sens inverse sans avoir conscience de ses contradictions. J’ai insisté ailleurs sur ces variations de la personnalité à l’état normal[2]. À l’état morbide, de pareils faits ne sont pas rares. Griesinger a cité un professeur qui se croyait empereur romain et qui continuait à lire un cahier du cours d’histoire qu’il faisait dans son collège[3]. Des faits de ce genre et de plus marqués se rencontrent à chaque pas dans les ouvrages de pathologie

  1. P. 93 et 111. J’emprunte ces faits à une réimpression du Théâtre sacré des Cévennes, réimpression remaniée, mais l’auteur affirme dans sa préface qu’il n’a fait que changer l’ordre des morceaux sans toucher au texte.
  2. Revue philosophique de 1882.
  3. Griesinger, Traité des maladies mentales, Trad. Doumic, p. 385.