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dans la Revue philosophique, un fait assez curieux : lorsqu’il parle mentalement et que sa pensée vient à être distraite, la parole intérieure se continue, quelquefois d’une façon incohérente, mais souvent avec plus de force[1]. J’ai remarqué aussi chez moi ce phénomène : lorsque je viens à penser un peu malgré moi et par distraction à une chose dont l’idée m’est désagréable, il arrive souvent que le système psychique dont l’activité est suspendue, tâche, si je puis dire, de maintenir sa prépondérance en me faisant parler tout haut ; c’est du reste un fait analogue à celui de lire volontairement à haute voix pour éviter d’être distrait par le bruit ou par des idées ; seulement dans ce dernier cas le phénomène est voulu, dans le premier cas il est involontaire, c’est-à-dire que dans le premier cas il montre l’activité spontanée et indépendante d’un système psychique, dans le second il montre aussi la coordination régulière et l’influence d’un certain nombre de systèmes.

À l’état semi-pathologique ou complètement pathologique, l’intensité du dédoublement et l’action séparée des éléments psychiques sont plus évidentes encore. Les faits de ce genre commencent à devenir très nombreux. L’hypnotisme en fournit un grand nombre. « On place sur une table un pot à eau, une cuvette et du savon ; aussitôt que son regard est attiré sur ces objets, ou que sa main touche l’un d’eux, la malade, avec une spontanéité apparente, verse l’eau dans la cuvette, prend le savon et se lave les mains, elle le fait avec un soin minutieux. Pendant qu’elle tourne ainsi le savon entre ses mains, si l’on vient à abaisser la paupière d’un seul ceil, de l’œil droit, par exemple, tout le côté droit du corps devient léthargique, la main droite s’arrête aussitôt, mais chose singulière la main gauche n’en continue pas moins le mouvement[2]. » Les expériences de M. Dumontpallier[3] sont encore plus extraordinaires. Je n’ai pas besoin d’insister ici sur les phénomènes curieux de dédoublement de la personnalité examinés par M. Pierre Janet ; ils montrent admirablement cette indépendance relative possible des systèmes psychiques[4]. On trouve des faits très curieux à cet égard dans les

  1. Séance du 25 octobre 1886. Revue philosophique de janvier 1887, p. 103.
  2. Richet, ouvrage cité, p. 693.
  3. Comptes rendus des séances et mémoires de la Société de Biologie, 1882, p. 786. Voir aussi Magnan, Des hallucinations bilatérales de caractère different selon le côté affecté (extrait des Archives de Neurologie).
  4. Pierre Janet, Les actes inconscients et le dédoublement de la personnalité pendant le somnambulisme provoqué (Revue philosophique, décembre 1886) et l’anesthésie systématisée et la dissociation des phénomènes psychologiques (Revue philosophique, mai 1887). Voir aussi Ribot, les Maladies de la personnalité ; Richet, les Mouvements inconscients ; Ball, le Dualisme cérébral (dans le volume intitulé la Morphinomanie, etc.).