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n’arrivait constamment qu’à dire « tschi-tschi » ou bien « akoko » ; il était également incapable d’imiter des sons isolés. Lorsqu’on l’invitait à faire une lecture, car il avait appris à lire, il produisait (quelles que fussent les lettres qui étaient dans le texte) comme en épelant les sons a, u, œ, etc., qu’il était ensuite capable de répéter… À la dictée il écrivait convenablement de sa main gauche son nom et celui de sa femme[1]. » Ce fait a l’avantage de montrer l’indépendance relative d’un grand nombre de systèmes psychiques, mots écrits, mots prononcés, sons isolés ; du reste les exemples de pareils phénomènes abondent dans les ouvrages où sont étudiés les troubles de la parole. M. Bernard rapporte d’après M. Grasset un cas où l’on voit bien comment un système existe en lui-même et forme une unité, non seulement par rapport aux autres systèmes, mais, en quelque sorte, par rapport à ses propres éléments. « Un officier, réduit à pardi et à b ; incapable de prononcer les mots enfant et patrie isolément, chante exactement le premier couplet de la Marseillaise, paroles et musique. MM. Escot, Onimus, Hallopeau, Brown-Séquard ont rapporté des faits semblables[2]. D’autres malades peuvent dire un air sur une seule syllabe et ne peuvent prononcer les paroles ; on voit encore ici l’indépendance relative de deux systèmes qui sont en général et qu’on aurait pu croire indissolublement unis.

M. Bernard fait remarquer qu’il en est, en général, des airs et de leurs paroles comme du reste du langage des aphémiques. « Ce sont des clichés dont les malades ne peuvent rien détacher, qu’ils donnent tout d’une pièce. » On le voit, le système est un, les éléments en sont dans ces cas indissolublement agglutinés les uns aux autres, ils ne peuvent se séparer. D’autres exemples nous font voir au contraire d’autres modes d’association et de dissociation. M. Kussmaul cite, d’après Graves, le fait d’un malade qui avait à la suite d’une attaque perdu les noms propres et les substantifs, si ce n’est les lettres alphabétiques initiales ; pour le reste il n’avait pas perdu la parole. Il se fit donc un dictionnaire des substantifs nécessaires pour la vie courante et le consultait aussi souvent qu’il était arrêté par un de ces mots. Voulait-il, par exemple, dire vache, il cherchait dans la lettre V. On voit comment des lettres peuvent exister isolément dans l’esprit ou plutôt s’associer seules avec un sens donné. Dans le bégaiement on trouve encore de bons exemples de l’indépendance des systèmes psychiques qui composent les lettres : certaines lettres sont prononcées plus ou moins facilement ou quelquefois ne peuvent pas

  1. Kussmaul. Les troubles de la parole, trad. franç., p. 207.
  2. Bernard. De l’aphasie et de ses diverses formes, p. 125.