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PAULHAN.finalité des éléments psychiques

sait presque invariablement. Un jour, passant sur les quais, il entend une voix qui lui commandait de jeter dans la Seine les deux pièces de cinq francs qu’il avait dans sa poche ; il obéit machinalement, et, à peine l’avait-il fait, qu’il aurait voulu se jeter lui-même à l’eau ; car, disait-il, nous n’avions pas, en ce moment, vingt francs à la maison[1]. » Brierre de Boismont, dans un travail sur la monomanie, dit que, souvent, des personnes sont venues le consulter, en lui disant : Depuis un an, deux ans et plus, nous sommes tourmentés par le souvenir de la mort de notre père qui s’est tué à cette époque. Nous avons d’abord résisté, mais à mesure que le moment fatal approche, notre résistance diminue, et nous craignons bien de nous tuer quand il sera arrivé. « Ce déplorable résultat, ajoute l’auteur, n’a été que trop souvent constaté[2]. » On peut constater chez les hystériques une sorte d’émiettement, de dispersion de la volonté, une incohérence complète dans les actes et les paroles ; chaque système suscité par une impression agit seul, et aboutit à l’acte sans contrôle des systèmes supérieurs. Une jeune fille profite de l’éloignement de ses parents, sort seule, rencontre un ouvrier, se laisse accoster et conduire dans un hôtel, y passe quelques jours, puis rentre dans sa famille, raconte en éclatant de rire ce qui lui est arrivé et ne demande pas même à épouser l’homme qui a abusé d’elle[3]. Il n’y a pas de cohérence dans les actes[4]. De même il y a des systèmes d’idées séparés dans la folie et des systèmes psychiques encore plus émiettés dans la démence, la paralysie générale, etc.

Les mouvernents à l’état normal et pathologique seraient un intéressant objet d’études au point de vue de la loi dont nous nous occupons ici, mais il serait trop long de développer chaque détail. La pathologie du langage nous offre des exemples plus précis et peut-être plus concluants encore. On y voit l’indépendance relative des systèmes d’impressions qui sont les mots et des systèmes plus réduits encore qui sont les lettres. Souvent dans le désordre complet du langage quelques mots restent et peuvent seuls être prononcés par le malade. « Un malade de la clinique de Westphal, paralysé depuis peu à la suite d’une attaque d’apoplexie, avait conservé l’apparence d’une grande intelligence, mais il ne pouvait ni prononcer spontanément un mot, ni répéter ceux qu’on lui disait. Lorsqu’on prononçait devant lui une parole il ouvrait la bouche, faisait toutes sortes de grimaces, et des efforts visibles pour parvenir à répéter ce qu’on disait, mais il

  1. Ball. Leçons sur les maladies mentales, p. 640.
  2. Annales d’hygiène publique de médecine légale, 2e série, tome VIII, p. 452.
  3. Legrand du Saulle. Les hystériques, p. 380.
  4. Voir Ribot. Les maladies de la volonté : Le règne des caprices.