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telle, que je traversai rapidement le pavé pour m’élancer rapidement sur le trottoir opposé, et m’éloigner ainsi avec promptitude de l’objet qui avait fait naître en moi cette horrible velléité. » Talma, à qui Marc rapporte le fait, lui dit avoir éprouvé la même propension dans des circonstances à peu près semblables. Marc rapporte encore, d’après Pariset, qu’un littérateur connu s’étant trouvé un jour en face d’un des plus beaux tableaux de Gérard fut pris de l’envie de crever la toile d’un coup de pied ; ce désir s’évanouit bientôt, mais il fut assez vif pour lui faire tourner le dos au tableau[1]. Nous voyons ici naître un système très cohérent en lui-même, mais très mal coordonné avec l’organisation générale de la personne chez qui il s’éveille, suscité par une perception dans des conditions psychiques qu’il est souvent difficile de préciser. Ce système ne peut toutefois se compléter par un acte à cause des associations coordonnées qui se réveillent et luttent contre lui, mais dans d’autres cas, où les associations supérieures ont moins de force, le système nouveau est difficilement réprimé malgré les désirs et la volonté générale du patient, le système nouveau se suffit, pour ainsi dire. Des malades sont obligés de se faire attacher, quelquefois il est vrai avec un lien aussi fragile que possible ; d’autres, enfin, finissent par céder à leur impulsion, qui alors envahit progressivement l’esprit et paralyse momentanément les tendances supérieures. On en trouvera des exemples dans les aliénistes qui ont traité la question, Marc, Esquirol, Maudsley ; voici encore des faits qui montrent la même activité indépendante d’un système psychique. Marc a vu, dans une maison de santé de Paris, une demoiselle dont les discours et les actes étaient raisonnables, mais qui s’occupait à découper en petits morceaux ses vêtements et ses hardes. Interrogée sur la cause de cette manière d’agir, elle répond : « Je ne puis m’en empêcher, c’est plus fort que moi[2]. » M. Ball dit avoir vu, dans le service de M. le Dr Mesnet, un alcoolique héréditaire chez qui les hallucinations étaient exclusivement auditives… il appréciait parfaitement la nature de ces fausses perceptions et ne croyait point à leur réalité ; « elles exerçaient cependant un empire irrésistible sur lui. Lorsqu’au milieu de la rue il s’entendait appeler par son nom, il se retournait presque toujours ; lorsque les voix lui intimaient un commandement, il obéis-

  1. Marc. De la folie considérée dans ses rapports avec les questions médico-judiciaires, tome II, p. 479. Voy. encore Esquirol, Monomanie homicide au tome II de ses Maladies mentales ; Maudsley, Le crime et la folie ; Ribot, Maladies de la volonté.
  2. Marc. De la folie, I, 88. Voir d’autres observations, même page et pages suivantes.